Soc. 2 avr. 2014, FS-P+B, n° 12-29.825

Soc. 2 avr. 2014, FS-P+B, n° 12-28.616

La Cour de cassation conserve son cap au sujet de la reconnaissance du préjudice d’anxiété accordé aux salariés admis au bénéfice de l’allocation de cessation anticipée d’activité (ACAATA). Pour la première fois, par un arrêt du 11 mai 2010, la chambre sociale avait admis la réparation de ce préjudice aux salariés qui avaient été exposés à l’amiante du fait de l’angoisse permanente dans laquelle ils se trouvent de développer une maladie liée à l’amiante. La Cour avait alors posé une série de trois conditions pour caractériser le préjudice d’anxiété. Le salarié devait d’abord avoir travaillé dans un des établissements visés par l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998. Il devait ensuite se trouver « dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante ». Enfin, cette angoisse devait être attestée par des contrôles médicaux et examens réguliers qu’il devait subir. Puis, par un arrêt plus récent du 4 décembre 2012, la Cour a assoupli la reconnaissance de ce préjudice en abandonnant l’exigence de cette troisième condition. Dès lors, le juge acceptait la réparation du préjudice d’anxiété par l’employeur sans qu’il soit besoin que le salarié effectue des examens médicaux réguliers pour justifier de son état. Cette position très favorable à la reconnaissance du préjudice d’anxiété fût confirmée par une série d’arrêts rendus au cours de l’année 2013. Le principe était donc posé : le préjudice d’anxiété est indemnisable en raison de la seule exposition des salariés au risque de déclaration d’une maladie liée à l’amiante. Dans ces arrêts, la Cour avait également précisé que l’indemnisation accordée au titre du préjudice d’anxiété répare l’ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d’existence, résultant du risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante, et intègre le trouble lié au bouleversement dans les conditions d’existence et au changement de situation sociale, à la suite de la cessation d’activité intervenue en application de la loi du 23 décembre 1998.

Ces arrêts du 4 avril 2014 sont l’occasion pour la Cour de réitérer sa position. Dans ces affaires, plusieurs salariés admis au régime de l’ACAATA ont saisi la juridiction prud’homale afin d’obtenir réparation du préjudice économique, du préjudice d’anxiété et du préjudice lié au bouleversement dans les conditions d’existence. Toutefois, la cour d’appel de Lyon les a déboutés de leur demande au motif que « les intéressés ne versent ni document objectif ni témoignage de tiers sur leur anxiété, qu’aucun salarié n’évoquer ses conditions d’existence et n’apporte d’éléments sur un changement de ses conditions d’existence et qu’ils ne rapportent donc pas la preuve qui leur incombe d’un sentiment d’anxiété ni d’une modification des conditions d’existence » (n° 12-29.828) ; « les intéressés ne versent aucune pièce sur leur état de santé, sur une éventuelle anxiété, sur un suivi médical et sur leurs conditions d’existence de sorte qu’ils ne prouvent pas que leur exposition à l’amiante leur ait généré de tels préjudices » (n° 12-28.616).

Dans le sillage de ses décisions précitées, la Cour de cassation a censuré la position des juges du fond. Statuant au visa de l’article L. 4121-1 du code du travail et 1147 du code civil, la chambre sociale pose le principe selon lequel les bénéficiaires de l’ACAATA n’ont pas à démontrer la réalité de l’anxiété ressentie dans la mesure où elle est induite par l’exposition au risque. Elle énonce ainsi qu’en l’espèce « les salariés avaient travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante, en sorte qu’ils pouvaient prétendre à l’indemnisation d’un préjudice d’anxiété réparant l’ensemble des troubles psychologiques induits par l’exposition au risque ». Néanmoins, si cette automaticité dans la reconnaissance du préjudice d’anxiété semble acquise, reste que l’individualisation des montants alloués par les juges du fond nécessite qu’en sus de la preuve de la faute et du lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué, les demandeurs démontrent chacun l’étendue de leur anxiété.

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