Com. 16 juin 2015, F-P+B, n° 14-13.493

Le banquier-tiré, qui reçoit de la part du tireur d’un chèque une demande d’opposition au paiement, est-il tenu de vérifier la cause de l’opposition alléguée et faut-il lui reconnaître le pouvoir de rejeter les oppositions qu’il juge illégales, car n’entrant pas dans les cas d’opposition limitativement énumérées par l’article L. 131-35, alinéa 2, du code monétaire et financier (perte, vol ou utilisation frauduleuse du chèque, procédure collective ouverte contre le porteur) ? La question, qui a longtemps divisé la doctrine, est aujourd’hui clairement tranchée par la jurisprudence : l’établissement de crédit sur lequel a été tiré un chèque frappé d’opposition n’a pas à vérifier la réalité du motif d’opposition invoqué. Il faudrait déduire de cette jurisprudence, parfaitement en phase avec le principe de devoir de non-immixtion du banquier, que le tiré n’a d’autre rôle que celui d’une simple chambre d’enregistrement appelée à réagir dans la seule éventualité où le motif officiellement allégué ne serait pas un motif permis.

L’arrêt du 16 juin 2015 semble marquer un léger infléchissement de cette jurisprudence. La chambre commerciale y affirme que « l’établissement de crédit sur lequel a été tiré un chèque frappé d’opposition n’a pas à vérifier la réalité du motif d’opposition invoqué mais seulement si ce motif est l’un de ceux autorisés par la loi ; qu’ayant constaté que l’opposition était fondée sur l’absence d’une signature conforme, la cour d’appel, qui a ainsi fait ressortir qu’était alléguée une utilisation frauduleuse des chèques au sens de l’article L. 131-35 du code monétaire et financier, n’avait pas à effectuer d’autre vérification ».

Il ressort de cet arrêt que le banquier-tiré est tenu d’un devoir d’interprétation de la loi - il faut dire que le motif d’opposition allégué par le tiré, en l’occurrence, est l’« utilisation frauduleuse » du chèque, dont les contours sont particulièrement flous et qui est donc sujette à interprétation. Le banquier doit ainsi vérifier si cette condition liée à l’utilisation frauduleuse est effectivement remplie, mais uniquement en se fondant sur les éléments de fait avancés par l’auteur de l’opposition pour justifier cette opposition. Il n’a donc pas à effectuer des investigations supplémentaires afin de s’assurer que l’opposition alléguée est effectivement fondée. En l’espèce, des chèques avaient été émis au nom d’une société par son ancien gérant (qui, visiblement, avait démissionné avant d’émettre les chèques litigieux), lequel …. s’en était désigné bénéficiaire. C’est son successeur qui a formé opposition, arguant d’une « signature non conforme » du tireur. La banque a alors rejeté ces chèques, estimant que le motif invoqué constituait une hypothèse d’opposition frauduleuse. L’action en paiement – il vaudrait, en réalité, mieux parler d’action en mainlevée de l’opposition – exercée par l’ancien gérant, à la fois tireur et bénéficiaire des chèques litigieux, contre le banquier tiré est donc rejetée.

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