Crim. 25 sept. 2012, F-P+B, n° 11-84.224

La Cour de cassation se prononce pour la première fois, dans un arrêt du 25 septembre 2012, sur l’incrimination de mise à disposition du public non autorisée d’œuvres ou d’objets protégés au moyen d’un logiciel. Dans le collimateur de la chambre criminelle : le streaming musical via des playlists

Aux termes de l’article L. 335-2-1 du code de la propriété intellectuelle, issu de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 (art. 21) relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende le fait d’éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d’œuvres ou d’objets protégés.

À ceux qui doutaient de l’intérêt de l’insertion d’une telle disposition au sein du code de la propriété intellectuelle, la Cour de cassation vient offrir une illustration d’une telle utilité. En l’espèce, un site, aujourd’hui fermé, « radioblogclub.fr », proposait aux internautes de télécharger un logiciel, conçu par les créateurs du site, permettant de constituer des playlists (une liste d’écoute, aussi appelée liste de lecture ou playlist, est un ensemble de morceaux musicaux ou de fichiers audio/vidéo compilés dans un agrégateur) accessibles à tous, gratuitement (à la différence d’un Deezer par exemple) selon la technique du streaming. Le logiciel permettait, de surcroît, non seulement l’écoute des morceaux musicaux, mais également la possibilité de transférer par courriel ou l’insertion sur un blog de la playlist, partiellement ou en totalité.

La mise à disposition, en connaissance de cause, d’un logiciel destiné lui-même à mettre à disposition des phonogrammes sans autorisation des titulaires de droit, est-elle une activité contrefaisante ? Dans l’affirmative, les concepteurs et exploitants du logiciel peuvent-ils, malgré tout, invoquer le régime de responsabilité atténuée du fait de leur statut d’hébergeur ? La chambre criminelle répond, tout comme la cour d’appel de Paris avant elle (Paris, 22 mars 2011), négativement aux deux questions.

S’agissant, tout d’abord, de la mise à disposition au public, il convient de rappeler, en préambule, que le code de la propriété intellectuelle punit, en son article L. 334-2, de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende toute fixation, reproduction, communication ou mise à disposition du public, à titre onéreux ou gratuit, notamment d’un phonogramme, réalisée sans l’autorisation, lorsqu’elle est exigée, de l’artiste-interprète, du producteur ou de l’entreprise de communication audiovisuelle. Pour autant, en l’espèce, peut-on estimer que la mise à disposition d’un logiciel permettant lui-même la mise à disposition d’œuvres relève de ce cas de figure ? En clair, à la différence des logiciels peer-to-peer, qui permettent le téléchargement illicite de manière directe et tombent indiscutablement sous le coup de la prévention visée à l’article L. 334-2 précité, la mise à disposition du seul outil de téléchargement est-il répréhensible ? L’argument des prévenus reposait, de manière assez habile, sur ce point technique : le logiciel incriminé ne pouvait être regardé comme « manifestement destiné » à la mise à disposition non autorisée d’œuvres protégées, puisque le logiciel avait été conçu pour permettre à de jeunes artistes de diffuser eux-mêmes leurs œuvres sur internet pour se faire connaître. De surcroît, le logiciel ne contenant aucun dispositif technique spécifiquement destiné à une utilisation frauduleuse, puisque ni le site ni le logiciel associé ne permettaient le téléchargement d’œuvres, il ne saurait relever des dispositions du code de la propriété intellectuelle précitées.

La Cour de cassation ne se laisse pas enferrer dans un débat technique qui aurait pu s’avérer périlleux : le logiciel mis à disposition est nécessairement contrefaisant puisque « tout service de communication au public en ligne d’œuvres protégées, sans avoir obtenu les autorisations requises et toute mise à disposition d’un logiciel ayant cette finalité, entrent dans les prévisions des articles L. 335-4 et L. 335-2-1 du code de la propriété intellectuelle ». Peu importe, en somme, les moyens mis à disposition, voire même leur degré de technicité (il était également soutenu devant la cour d’appel que le logiciel ne permettait l’écoute qu’en « qualité basse » puisque l’objectif était, « seulement », de faire connaitre les artistes) : la qualité de l’outil ou sa finalité philanthropique initiale (philanthropisme qui a cependant rapporté à ses auteurs, au titre des recettes publicitaires, plus d’un million d’euros en deux ans) ne sont pas déterminants dès lors que, dans les faits, il permet un téléchargement sans autorisation.

S’agissant, ensuite, du statut d’hébergeur excipé par les prévenus, pour lequel la loi pour la confiance dans l’économie numérique a prévu (art. 6) un régime de responsabilité atténué, on regrettera simplement que la Cour de cassation refuse l’obstacle. En effet, alors que le juge du fond avait clairement énoncé que le statut d’hébergeur ne pouvait être accordé aux contrefacteurs en raison du fait que le « site offrait une capacité d’action sur les contenus accessibles, allant bien au-delà de la simple structuration ou classification des informations mises à la disposition du public, nonobstant le fait que les playlists sont composés par les internautes », la chambre criminelle se contente d’énoncer que « l’hébergeur ne peut bénéficier de l’exonération de responsabilité pénale prévue par l’article 6, I, 3, de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 s’il avait effectivement connaissance de l’activité illicite ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il n’a pas agi promptement pour retirer les informations stockées ou en rendre l’accès indisponible ». La formulation reste incertaine car l’on ne sait trop si c’est le statut d’hébergeur en tant que tel qui est refusé ou bien l’exonération de responsabilité du fait de la connaissance de l’activité illicite.

Quoi qu’il en soit, il n’en reste pas moins que le streaming est, désormais, clairement reconnu comme une forme de mise à disposition et doit, à ce titre, recueillir au préalable les autorisations nécessaires des ayants droit pour prospérer de manière licite.

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