Com. 5 juill. 2016, FS-P+B, n° 14-10.108

Est cassé l’arrêt d’appel qui a condamné une entreprise pour concurrence déloyale, dès lors que les motifs retenus par les juges sont impropres à établir que la société a tiré indûment profit du savoir-faire et des efforts humains et financiers consentis par une autre.

La société Appartement à louer a assigné la société Prada Retail France et la société italienne Prada SpA en concurrence déloyale et parasitisme. La première reproche aux secondes la commercialisation d’un ourson, selon elle identique à celui, dénommé Balou, qu’elle vend depuis 2006. Les juges du fond – précisément la cour d’appel de Paris – lui donnent gain de cause. Pour affirmer que les sociétés Prada ont commis des actes de parasitisme préjudiciables à la société demanderesse, les condamner en conséquence in solidum à payer des dommages-intérêts à cette dernière et prononcer une mesure d’interdiction sous astreinte, ils ont retenu que la longévité de la commercialisation de l’ourson « Balou » et le chiffre d’affaires dégagé par celle-ci, attestant du succès de cette création, permettent de considérer que la société Appartement à louer est fondée à se prévaloir de la création d’une valeur économique, née de son savoir-faire ainsi que des efforts humains et financiers qu’elle a déployés, lui procurant un avantage concurrentiel. Les juges du fond ont ajouté qu’en décidant de commercialiser, à destination d’une clientèle commune, un produit similaire évocateur de l’univers ludique de l’enfance et ayant les mêmes fonctions d’accessoire décoratif de sac matérialisé par l’adjonction d’un système d’accroche ou celle de porte-clef, ceci avec l’avantage concurrentiel supplémentaire que leur procure le prestige de la marque Prada, et en s’inspirant par conséquent de la valeur économique ainsi créée sans justification légitime et sans qu’il puisse être considéré que cela résulte de circonstances fortuites, les sociétés Prada ont tiré fautivement profit de la valeur économique créée par la société Appartement à louer.

La Cour de cassation n’est pas convaincue mais, cassant l’arrêt d’appel pour défaut de base légale, c’est moins la pertinence du raisonnement qu’elle condamne (il y a bien concurrence déloyale lorsque l’on tire fautivement profit de la valeur économique créée par un concurrent) que le fait que la faute incriminée n’a pas été suffisamment caractérisée. Cette dernière juge, en effet, que les motifs retenus par les juges d’appel sont impropres à établir que les sociétés Prada avaient tiré indûment profit du savoir-faire et des efforts humains et financiers consentis par la société Appartement à louer, lesquels ne pouvaient se déduire de la seule longévité et du succès de la commercialisation de l’ourson litigieux. La cour d’appel de Paris, autrement composée, désignée comme juridiction de renvoi, devra se montrer plus exigeante sur le plan probatoire : les juges ne peuvent, en effet, se contenter d’une présomption de faute tirée de la longévité et du succès commercial du produit imité.

Cet arrêt appelle une dernière remarque, qui concerne son visa. Outre celui de l’article 1382 du code civil, classique, en matière de concurrence déloyale, la Cour de cassation vise ici le « principe de liberté du commerce et de l’industrie » que l’on croyait tombé en désuétude. En effet, les juges – qu’il s’agisse de la Cour de cassation ou du Conseil constitutionnel – se référent plus volontiers au principe de la liberté d’entreprendre, plus moderne.

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