CE 12 nov. 2012, req. n° 349365

Si l’employeur peut, lorsque des impératifs de sécurité le justifient, insérer dans le règlement intérieur des dispositions qui limitent la consommation de boissons alcoolisées de manière plus stricte que l’interdiction posée par le code du travail, de telles dispositions doivent, rester proportionnées au but de sécurité recherché.

Aux termes de l’article R. 4228-20 du code du travail « aucune boisson alcoolisée autre que le vin, la bière, le cidre et le poiré n’est autorisée sur le lieu de travail ».

En l’espèce, un règlement intérieur comportait une disposition ainsi rédigée : « la consommation de boissons alcoolisées est interdite dans l’entreprise, y compris dans les cafeterias, au moment des repas et pendant toute autre manifestation organisée en dehors des repas ». L’inspecteur du travail a estimé que cette clause du règlement intérieur devait être retirée, mais sa décision est annulée par le directeur régional du travail. Le tribunal administratif saisi par le comité d’entreprise annule pour excès de pouvoir la décision de l’autorité administrative. La cour administrative d’appel confirme le jugement. Le Conseil d’État approuve le juge du fond en ce qu’il a estimé que les dispositions « n’étaient pas fondées sur des éléments caractérisant l’existence d’une situation particulière de danger ou de risque, et excédaient, par suite, par leur caractère général et absolu, les sujétions que l’employeur peut légalement imposer ». Le Conseil d’État ne permet pas de prévoir une interdiction discrétionnaire de consommer de l’alcool au sein du règlement intérieur.

Notons que la position du Conseil d’État semble différer de celle adoptée, il y a longtemps il est vrai, par la Cour de cassation. La chambre sociale a, en effet, décidé que si le « code du travail interdit à tout chef d’établissement de laisser introduire ou distribuer dans son entreprise certaines boissons alcooliques, il ne s’ensuit pas que l’employeur ne puisse les proscrire toutes s’il estime opportun dans l’intérêt de la discipline d’en prescrire l’interdiction » (Soc. 3 oct. 1969, n° 68-40.480, Bull. civ. V, n° 509). Signalons que dans cette affaire, le règlement intérieur avait été valablement soumis à l’inspecteur du travail.

La haute juridiction administrative concilie les impératifs contenus aux articles auxquels elle se réfère, à savoir l’article L. 1321-3 du code du travail, relatif à la justification et à la proportionnalité à la nature des tâches et aux buts recherchés des prescriptions contenues dans le règlement intérieur, et l’article L. 4121-1 du même code, relatif à l’obligation de sécurité qui pèse sur les épaules de l’employeur. La solution de la juridiction administrative épouse les contours de ces textes et tend à chasser l’arbitraire du règlement intérieur. L’employeur peut ainsi parfaitement interdire la consommation d’alcool, de manière absolue, mais il doit pour cela caractériser l’existence d’une « situation particulière de danger ou de risque ». Seuls seront concernés les salariés dont l’exercice des tâches et fonctions remplissent ces conditions et, à n’en pas douter, uniquement lorsqu’ils accomplissent de telles activités. Il est ainsi permis d’imaginer que lorsqu’un salarié pourra être amené à utiliser des machines dangereuses, il lui sera interdit de consommer de l’alcool, mais que lorsqu’il pratiquera à d’autres périodes d’autres activités sans danger particulier, comme des tâches administratives ou commerciales, une telle restriction sera impossible dès lors qu’il sera insusceptible d’exercer les premières fonctions constitutives d’une « situation particulière de danger ou de risque ».

L’interdiction absolue de consommer de l’alcool dans l’entreprise sans motif légitime n’est donc pas licite, ce que d’aucuns pourraient regretter. Il convient toutefois de rappeler que la consommation d’alcool n’est pas totalement prohibée par le législateur lors d’activités qui peuvent se révéler particulièrement dangereuses, comme la conduite d’un véhicule. L’entreprise n’étant pas un empire dans un empire et, au regard des textes précédemment cités, la solution ici présentée apparaît comme parfaitement fondée. 

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