Civ. 1re, 28 sept. 2016, FS-P+B+R+I, n° 15-21.823

Soutenant avoir été victime de harcèlement moral de la part du chef de cuisine et du chef de section des cuisines de l’établissement où elle était employée en qualité d’employée polyvalente, Mme X… envoya, le 28 décembre 2010, au directeur des ressources humaines de la société, une lettre dénonçant ces faits, dont elle adressa copie au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et à l’inspection du travail. Estimant le contenu de la lettre diffamatoire, la société et les deux prétendus agresseurs assignèrent Mme X… en réparation de leurs préjudices sur le fondement des articles 29, alinéa 1er, et 32, alinéa 1er, de loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui incriminent la diffamation publique envers un particulier.

Les juges du fond accueillirent cette demande, estimant applicables les articles précités, au motif que « les articles L. 1152-1 et suivants du code du travail, [qui] ont instauré un statut protecteur au bénéfice du salarié victime de harcèlement moral, […] n’édictent pas une immunité pénale au bénéfice de celui qui rapporte de tels faits au moyen d’un écrit, de sorte que son rédacteur est redevable, devant le juge de la diffamation, de la formulation de ses imputations ou allégations contraires à l’honneur ou à la considération des personnes qu’elles visent ».

Dans son pourvoi, la salariée soulevait deux moyens : l’inapplicabilité des dispositions relatives à la diffamation et, subsidiairement, l’absence de caractérisation de la publicité au sens de l’article 23 de la loi sur la presse. Se prononçant sur le premier, la première chambre civile casse et annule l’arrêt d’appel au visa notamment des articles L. 1152-2 (relatif aux incidences professionnelles du harcèlement), L. 4131-1, alinéa 1er (relatif aux conditions d’exercice du droit d’alerte de l’employeur en cas de « situation dont le travailleur a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ») du code du travail et 122-4 du code pénal (relatif au fait justificatif de permission de la loi).

Dans son arrêt, la première chambre civile emprunte au droit pénal spécial de la presse pour formuler sa solution. Ainsi, la Cour de cassation commence par énoncer qu’il résulte de la combinaison des textes visés que « les salariés sont autorisés par la loi à dénoncer auprès de leur employeur et des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail les agissements répétés de harcèlement moral dont ils estiment être victimes ». Elle relève ensuite que la mauvaise foi de l’auteur d’allégations diffamatoires est nécessairement présumée et qu’elle ne peut être renversée que par la preuve, par ce dernier, soit de la vérité des faits (art. 35 de la loi sur la presse), soit de sa « bonne foi » (laquelle agit alors comme fait justificatif et suppose d’établir non seulement la légitimité du but poursuivi, mais également l’absence d’animosité personnelle, la prudence dans l’expression et la fiabilité de l’enquête), « la croyance en l’exactitude des imputations diffamatoires ne suffi[san]t pas, en revanche, à reconnaître à leur auteur le bénéfice de la bonne foi ». Pour la Première chambre civile, de telles exigences probatoires « sont de nature à faire obstacle à l’effectivité du droit » reconnu au salarié par la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, ce qui implique d’empêcher l’application des dispositions relatives à la diffamation et de leur préférer la qualification de dénonciation calomnieuse pour le cas où le salarié aura dénoncé des faits répétés de harcèlement moral en connaissance de leur fausseté (« dès lors, la relation de tels agissements, auprès des personnes précitées, ne peut être poursuivie pour diffamation ; […] toutefois, lorsqu’il est établi, par la partie poursuivante, que le salarié avait connaissance, au moment de la dénonciation, de la fausseté des faits allégués, la mauvaise foi de celui-ci est caractérisée et la qualification de dénonciation calomnieuse peut, par suite, être retenue »).

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