T. com. Toulouse, 9 déc. 2013, n° 2013J1206

Depuis quelques mois, les boutiques commercialisant des cigarettes électroniques se développent à un rythme effréné, surfant sur la vague de la lutte contre le tabagisme. Il s’agit là, à l’évidence, du nouveaubusiness à la mode, auquel l’on prête – à tort ou à raison – des perspectives de profit mirobolantes. Évidemment, ce phénomène ne plait pas à tout le monde : en particulier, il suscite l’ire des buralistes traditionnels, lesquels, s’ils bénéficient d’un monopole en matière de commercialisation du tabac, sont, en contrepartie, soumis à des contraintes juridiques, notamment en matière de publicité, et fiscales importantes. Ces contraintes ne s’imposeraient-elles pas également aux vendeurs de e-cigarettes ou, inversement, ces derniers bénéficient-ils d’un vide juridique pour exercer en toute liberté leur activité ? Cette question en appelle une autre : les cigarettes électroniques, ainsi que les e-liquides nécessaires à leur utilisation, doivent-ils être assimilés à du tabac ? C’est en tout cas ce qu’a estimé le tribunal de commerce de Toulouse, dans un jugement qui a fait la une des médias. Cette décision a considéré que s’est rendue coupable de concurrence déloyale une société pour avoir procédé : 1) à la promotion et à la publicité de cigarettes électroniques et de e-liquide tant dans les deux boutiques qu’elle exploite dans la région toulousaine (dont l’une à quelques mètres seulement du bureau de tabac exploité par l’auteur de l’assignation) que sur son site internet ; 2) à la commercialisation desdits cigarettes et liquides dans ses boutiques. Elle peut surprendre au regard de la liberté du commerce et de l’industrie, mais peut-être moins si on la confronte tant au code de la santé publique qu’au code général des impôts.

D’abord, l’article L. 3511-3 du code de la santé publique prohibe, en effet, la publicité ou la propagande, directe ou indirecte, en faveur du tabac ou produits du tabac ou assimilés. Selon l’article L. 3511-1 du même code, « sont considérés comme produits du tabac les produits destinés à être fumés, prisés, mâchés ou sucés, dès lors qu’ils sont, même partiellement, constitués de tabac, ainsi que les produits destinés à être fumés même s’ils ne contiennent pas de tabac ». Pour les juges consulaires, « les produits destinés à être fumés même s’ils ne contiennent pas de tabac » visent les produits de substitution au tabac, ce que sont, entre autres, les cigarettes électronique et le e-liquide. Ce qui explique que leur publicité soit prohibée. Ensuite, l’article 564 decies du code général des impôts qui définit le champ du monopole des buralistes (en réalité du monopole de l’État qui délègue celui-ci aux buralistes), inclut dans ce champ les produits assimilés aux tabacs manufacturés, ce que sont, entre autres, « les cigarettes et produits à fumer, même s’ils ne contiennent pas de tabac ». Les cigarettes électroniques seraient donc également visées par cette disposition. Pour ces deux raisons, la concurrence déloyale a été retenue. Néanmoins, dès lors que le manquement incriminé constitue la violation de dispositions légales impératives, c’est plutôt sans doute de concurrence illégale qu’il faut parler (Rép. com. Dalloz, v° Concurrence déloyale, par Y. Picod, Y. Auguet et N. Dorandeu, spéc. n° 55). La notion de concurrence déloyale renvoie, en effet, davantage à l’idée, plus floue, de transgression des « bonnes mœurs » du commerce. Mais peu importe ; il ne s’agit là que de mots.

Ce jugement est également intéressant quant aux sanctions qu’il prononce. Comme souvent, en matière de concurrence déloyale, le préjudice est difficile à quantifier. Une baisse de chiffre d’affaires constatée par celui qui s’estime victime d’une telle concurrence peut, en effet, être imputable à de multiples facteurs (changement de comportement des consommateurs, etc.), et pas seulement à une captation de clientèle par un concurrent en usant de procédés déloyaux. Par prudence, le tribunal de Toulouse a donc limité les dommages-intérêts à l’euro symbolique. Mais, comme de coutume, la sanction privilégiée revêt un caractère essentiellement préventif : elle consiste en la cessation forcée des agissements illicites, qu’il s’agisse de la vente - y compris par internet - comme de la publicité des produits litigieux. L’originalité réside ici dans le fait que cette mesure est prononcée non pas par le juge de référés, compétent pour prendre toute mesure destinée à prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite (C. proc. civ., art. 873), mais par le juge du principal.

Enfin, le jugement toulousain doit également être analysé à l’aune du projet de loi Hamon relatif à la consommation. En effet, l’article 17 ter du projet, issu d’un amendement déposé par un député en première lecture, prévoit d’interdire la vente, mais aux seuls mineurs, des cigarettes électroniques et des liquides avec ou sans nicotine nécessaires à leur utilisation (CSP, art. L. 3511-2-1). Cet article ayant été adopté sans modification par le Sénat, il est désormais figé. C’est dire que si le jugement toulousain se trouve confirmé, il sera partiellement en contradiction avec cette disposition. La prohibition qu’il édicte est, en effet, à la fois plus large et plus étroite que celle adoptée par le Parlement. Plus large, parce qu’elle s’applique à tout public, y compris celui des adultes. Plus étroite, car elle n’interdit pas la vente de cigarettes électroniques par les buralistes, y compris aux mineurs. Cette contradiction devra être tranchée un jour ou l’autre, soit par le législateur, soit par une juridiction d’un rang supérieur, en espérant que ce soit la Cour de cassation.

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