Soc. 10 juin 2015, FS-P+B, nos 13-27.799 à 13-27.853

Pour les activités présentant un élément d’extranéité dans l’Union européenne, et notamment lors du détachement d’un salarié, la délivrance, conformément au règlement n° 987/2009/CE, d’un certificat A1 (anc. E 101) par les institutions de sécurité sociale , à la demande de l’employeur, permet d’attester de la soumission du travailleur à un régime de sécurité sociale (en l’occurrence celui du pays qui l’a délivré). Cela évite qu’entrent en jeu, lors d’un détachement, des régimes d’autres pays (principe affirmé par le règlement 883/2004/CE). Ce dispositif permet ainsi de justifier du non-versement des cotisations sociales dans le pays d’accueil et de les maintenir dans le pays d’origine, le travailleur n’étant soumis qu’au régime d’un seul État membre. La portée du formulaire A1 est loin d’être négligeable puisqu’il lie l’État d’emploi du travailleur. Mais ce formulaire, purement administratif, a-t-il un effet sur la compétence du juge appelé à se prononcer sur l’application du droit du travail ?

La Cour de cassation a déjà eu à se prononcer sur la question. Dans une décision rendue en 2014, elle a précisé que la délivrance d’un certificat E 101 par l’organisme de sécurité sociale espagnol n’avait d’effet qu’à l’égard des régimes de sécurité sociale. Elle en tirait la conséquence que la compétence du juge du travail devait classiquement s’apprécier par application des dispositions de l’article 19 du règlement du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (règl. 44/2001/CE).

Dans notre affaire, les faits étaient relativement similaires. Embauchés par une société de droit anglais, les pilotes salariés étaient affectés à des aéroports français à partir desquels ils effectuaient leur travail. Ils étaient en plus affiliés à une caisse de retraite française pour les régimes obligatoire et complémentaire, et leurs charges sociales (CSG et CRDS) étaient prélevées sur l’intégralité de leur rémunération. En outre, leurs contrats de travail attribuaient exclusivement compétence aux tribunaux français en cas de litige. Attrait dans un contentieux relatif à ces mêmes contrats de travail, l’employeur se prévalait pourtant de certificats E 101 (A1) obtenus dans un autre État membre de l’Union européenne pour arguer de l’incompétence des juridictions françaises du travail.

La Cour de cassation confirme néanmoins sa position de 2014 : selon elle, le certificat E 101 (A1) ne vise que le droit de la sécurité sociale et n’a pas de conséquence sur la compétence juridictionnelle. Cette dernière ne résulte que de l’application traditionnelle du règlement du 22 décembre 2000, reprenant la Convention de Bruxelles et visant à régler les litiges concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. Ainsi, la compétence du juge prud’homal français devra être retenue pour statuer sur le respect du droit du travail, nonobstant l’existence d’un certificat E 101 (A1), s’il est désigné par ce règlement.

Il s’agit alors de se reporter aux articles 19 et 21 du règlement 44/2001/CE pour déterminer le juge compétent dans une relation de travail présentant un élément d’extranéité, peu important la présence du certificat de détachement. Le premier de ces textes permet au salarié de saisir notamment le tribunal « du lieu où [il] accomplit habituellement son travail ou […] du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail », c’est-à-dire, selon la Cour de justice de l’Union européenne, l’État où le salarié a le centre effectif de son activité professionnelle. Le second texte limite la validité des clauses attributives de juridiction : elles doivent soit avoir été conclues postérieurement à la naissance du différend, soit permettre au travailleur de saisir d’autres tribunaux que ceux résultant de l’application du règlement.

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