Soc. 11 juill. 2012, FS-P+B, n° 10-30.219

Un salarié ne peut refuser un déplacement s’inscrivant dans le cadre habituel de son activité de consultant international.

Par la présente décision, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence relative à l’absence de modification du contrat de travail en cas de déplacement imposé au salarié alors que son emploi implique par nature une certaine mobilité. En l’espèce, un salarié recruté en tant que directeur technique a été licencié pour faute grave car il a refusé de se rendre à une réunion à Alger. Le contrat de travail prévoyait que « dans le cadre de ses activités, le salarié pourra être amené à assurer des missions à l’extérieur de l’entreprise, que ce soit en France ou hors de France pour une durée plus ou moins longue, ce qu’il accepte expressément ». Il précisait que « de façon générale, l’employeur et le salarié reconnaissent expressément que la mobilité du salarié dans l’exercice de ses fonctions constitue une condition substantielle du présent contrat sans laquelle ils n’auraient pas contracté ». La cour d’appel de Paris a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse après avoir dit que les stipulations précitées n’étaient qu’une clause de mobilité dont les conditions de validité n’étaient pas satisfaites, puisqu’une telle clause doit en « principe précisément définir sa zone géographique d’application et ne peut conférer à l’employeur le pouvoir d’en étendre unilatéralement la portée » (V. effectivement, en ce sens, Soc. 7 juin 2006, n° 04-45.846). Le juge du fond décidait que l’indétermination de la zone géographique d’évolution du salarié emportait la nullité ab initio de cette clause en application de l’article 1129 du code civil. L’employeur forme un pourvoi et la Cour de cassation censure la décision au motif que le déplacement refusé par le salarié s’inscrivait dans le cadre habituel de son activité de consultant international, ainsi les conditions de validité d’une clause de mobilité n’avaient pas à être satisfaites en l’espèce.

Si l’employeur ne peut modifier le secteur géographique d’exécution du contrat de travail sans l’accord du salarié, suivant ainsi le régime applicable en matière de modification du contrat de travail (Soc. 4 mai 1999, n° 97-40.576), lorsqu’il existe une clause de mobilité satisfaisant les conditions de validité rappelées en l’espèce par la cour d’appel (Soc. 7 juin 2006, préc. ; 14 oct. 2008, n° 06-46.400), le salarié a par avance consenti à une exigence de mobilité et ne peut refuser sans commettre un manquement à ses obligations un déplacement au sein de la zone géographique contractuellement définie (Soc. 23 janv. 2008, n° 07-40.522, Bull. civ. V, n° 19).

Il existerait, en revanche, une catégorie de salariés, ceux dont l’emploi suppose par nature une certaine mobilité, pour lesquels la stipulation d’une clause de mobilité au sein du contrat de travail ne serait pas nécessaire afin que l’employeur puisse faire occasionnellement varier le lieu d’exécution du contrat de travail. La Cour a, par exemple, déjà indiqué que tel est le cas pour un chauffeur de bus dès lors qu’aucun lieu d’exécution n’est prévu par le contrat de travail et que la nature même de l’emploi implique une certaine disponibilité géographique (Soc. 4 janv. 2000, n° 97-41.154, Bull. civ. V, n° 4). Il en est de même en cas de déplacement occasionnel imposé à un chef de chantier en dehors du secteur géographique où il travaille habituellement. Il n’y a pas de modification du contrat de travail car la mission est justifiée par l’intérêt de l’entreprise et la spécificité des fonctions qu’il exerce implique de sa part une certaine mobilité géographique (Soc. 22 janv. 2003, n°00-43.826, Bull. civ. V, n° 15). De manière analogue, une mission ponctuelle en Allemagne confiée à une consultante, statut cadre, en raison de ses connaissances en allemand et qui est par ailleurs contractuellement tenue d’effectuer des séjours en province, n’entraîne pas une modification de son contrat de travail, si bien que le refus de la salariée constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement (Soc. 21 mars 2000, n° 97-44.851, Bull. civ. V, n° 109).

En l’espèce, le salarié ayant refusé de se rendre à des réunions ponctuelles à Alger, alors que l’essentiel du suivi du dossier donnant lieu aux déplacements pouvait être réalisé depuis Paris, avait accepté par contrat de remplir des missions en France et à l’étranger. Au regard des exemples jurisprudentiels qui viennent d’être rappelés, la solution de la chambre sociale ne surprend guère. À la lecture de cette décision, rendue au visa, des articles 1129 et 1134 du code civil ensemble et  l’article L. 1221-1 du code du travail, il convient de conclure que les clauses relatives aux missions dévolues au salarié et qui emportent des déplacements ne sont pas soumises aux mêmes conditions de validité que les clauses de mobilité, notamment quant à la définition de la zone géographique d’application qui peut être particulièrement étendue voire véritablement imprécise (« hors de France »), en raison des spécificités des fonctions du salarié ce dont ce dernier a pleinement conscience comme le révèle les stipulations contractuelles. Il y a fort à parier que le contrôle du juge portera généralement non pas sur la validité de la clause fondée sur son imprécision mais bien sur sa mise en œuvre, analysée à la lumière de l’économie générale du contrat. L’édification d’un éventuel régime jurisprudentiel concernant ce type de stipulations pourrait s’inspirer de celui établi en matière de mise en œuvre de la clause de mobilité. De manière analogue, l’employeur qui y aurait recours bénéficierait d’une présomption simple selon laquelle il est de bonne foi (Soc. 23 févr. 2005, n° 04-45.463, Bull. civ. V, n° 64) et la mission nécessairement conforme aux fonctions du salarié ne devrait pas porter atteinte de manière disproportionnée à sa vie personnelle et familiale (Soc. 14 oct. 2008, n° 07-40.092, Bull. civ. V, n° 190) quand bien même il aurait par avance accepté ces sujétions bien particulières. Au-delà d’un certain seuil, apprécié par le juge, l’employeur devrait probablement en passer par d’autres mécanismes comme le détachement, l’expatriation ou le contrat de travail international.

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