Civ. 1re, 26 sept. 2012, F-P+B+I, n° 11-12.890

Conformément au droit civil de la preuve et sous réserve d’une cause étrangère ou d’une détérioration constatée conjointement par les cocontractants lors de la conclusion du contrat de dépôt, il incombe au déposant de rapporter la preuve de ce que les objets qu’il a remis en dépôt et dont il demande restitution ne sont pas conformes à l’état dans lequel il les a confiés au dépositaire.

Assurément, l’affaire ne se signale guère par une quelconque dissidence au regard de la jurisprudence constante de la Cour de cassation dans le domaine du contrat de dépôt, y compris en prise au droit de la preuve. Aussi, l’arrêt ci-rapporté n’offre-t-il, pour l’essentiel, que de constater l’affermissement de la règle applicable en cas de demande ultérieure de restitution de la chose déposée par le déposant.

Au cas d’espèce, plusieurs tableaux sont confiés à un dépositaire. Plus tard, lors de la demande de restitution des tableaux, le déposant estime que l’un des tableaux a été purement et simplement « substitué » (copié ?), tandis que les autres ont subi diverses altérations. Le désaccord ne tardant pas à se nouer entre les cocontractants, une cour d’appel tranche le différend en estimant que le dépositaire ne rapportait pas la preuve de ce que les œuvres qu’il avait reçues du déposant étaient rigoureusement identiques. En conséquence, faute de preuve par le dépositaire établissant la conformité entre les tableaux déposés et les tableaux à restituer, les magistrats d’appel décidèrent d’accorder des dommages-intérêts au déposant au titre d’une restitution des objets par équivalent monétaire. Mais le dépositaire saisit la Cour de cassation, avec succès, puisqu’il obtint la censure de l’arrêt pour inversion de la charge de la preuve et accessoirement modification de l’objet (et donc du sens) de celle-ci.

En effet, des articles 1927, 1932, 1933 du code civil, il suit que le dépositaire a l’obligation de garder consciencieusement la chose même qu’il a reçue dans la limite du possible toutefois – à l’impossible nul n’est tenu –, et de rendre cette chose en l’état, compte tenu également de l’impact du temps de dépôt écoulé sur les choses sujettes aux effets érosifs du temps (comp. Civ. 1re, 14 oct. 2010, Bull. civ. I, n° 198). En revanche, si, lors de la restitution, le déposant conteste la qualité, voire le principe même de la prestation de garde fournie par le dépositaire, la loi, en ce compris l’article 1315, alinéa 1er, du code civil, ne laisse pas le déposant juridiquement démuni, en tout cas, en l’absence de cause étrangère : en clair, à lui de prouver la non-conformité de la chose remise et non au dépositaire de prouver la conformité de la chose à lui déposée. Diabolica probatio ? Probablement, mais, de jus, la solution n’encourt point la critique.

Mais au-delà des vices et des vertus de ce régime juridique de lege lata, une seconde remarque s’impose. De fait, cette affaire signale avec une certaine acuité les risques que sont susceptibles de générer les dépôts de ce type réalisés sans précautions préalables particulières, c’est-à-dire sans anticipation sur le moment fatidique de la restitution de la chose remise en dépôt. L’imagination, tant des déposants, que celle des dépositaires (formulaires détaillés, photos, vidéos, casiers cadenassés, témoins, assurances, etc.) devrait permettre d’éradiquer ce genre d’écueil, parfois dramatique, et de rendre au contrat de dépôt l’utilité que lui avaient attachée les rédacteurs du code civil. Signe, peut-être, qu’à la faveur d’une pratique toujours vivace et pionnière, ce contrat, d’abord d’ami, devenu mercantile, pourrait sans grand mal gagner quelques crans de sécurité moyennant, pouvons-nous penser, de menues évolutions.

Auteur : Éditions Dalloz - Tous droits réservés.