Soc. 31 mars 2015, FS-P+B, n° 13-24.410

Un salarié qui subtilise et s’approprie des documents de l’entreprise est susceptible d’être condamné du chef de vol ou d’abus de confiance, selon que l’employeur les lui a remis ou non afin de remplir les fonctions qui lui ont été dévolues par son contrat de travail. Cette règle reçoit exception dans un cas que la Cour de cassation s’est efforcée de décrire : successivement et parallèlement, les chambres sociale et criminelle ont entendu permettre au salarié de prendre possession de ces documents et de les produire en justice s’ils s’avéraient strictement nécessaires à l’exercice des droits de sa défense dans le litige prud’homal l’opposant à son employeur.

Par le présent arrêt, la chambre sociale apporte des précisions quant à la mise en œuvre du fait justificatif constitué par l’exercice des droits de la défense dans le cadre d’une instance prud’homale. Au visa des articles L. 1222-1 du code du travail et 1315 du code civil, elle décide qu’il revient au juge de rechercher si le salarié établit que les documents de l’entreprise qu’il s’est appropriés sont strictement nécessaires à l’exercice des droits de sa défense, en l’occurrence à l’occasion de son licenciement.

Outre une confirmation de la jurisprudence ci-dessus exposée, c’est la première fois que la Cour se prononce expressément sur la charge de la preuve du caractère nécessaire des documents quant à l’exercice des droits de la défense du salarié. Cette charge et le risque qui en découle pèsent exclusivement sur ce dernier. Mais plus qu’une nouveauté, c’est probablement un changement d’orientation qui est implicitement à l’œuvre. Jusqu’à présent, les chambres sociale et criminelle avaient fait montre d’une certaine indulgence, voire de bienveillance, à l’égard du salarié qui s’est risqué à prendre des documents de l’entreprise. La plupart du temps, en effet, il était seulement renvoyé à l’office du juge à qui il était reproché de ne pas rechercher si les documents en cause n’étaient pas strictement nécessaires à l’exercice du droit de la défense du salarié dans le litige prud’homal. Et, s’il était fait référence à de quelconques éléments de preuve, soit le salarié parvenait à démontrer que les documents permettaient de soutenir ses prétentions devant le juge prud’homal et, partant, qu’ils étaient nécessaires à l’exercice des droits de sa défense, soit les juges se réfugiaient derrière la parole du salarié dont l’employeur avait refusé de produire les documents litigieux, soit encore ils déduisaient de la circonstance que le salarié avait emporté des documents excédant pour partie ses besoins dans la procédure prud’homale que la nécessité d’assurer l’exercice de ses droits n’était pas caractérisée.

Dorénavant, l’office du juge est allégé, même s’il sera toujours chargé de vérifier que la nécessité est caractérisée, et l’employeur n’a pas à démontrer que les données recueillies par le salarié font encourir à l’entreprise un risque, notamment commercial. Si l’employeur reproche, à l’occasion d’une instance prud’homale, l’appropriation faite par le salarié des documents de l’entreprise, ce dernier doit ipso facto justifier d’un lien étroit entre le document soustrait par lui et le litige qu’il a avec l’employeur. Dans le cas contraire, les éléments de preuve issus de ces documents devront être déclarés irrecevables et le salarié pourrait être enjoint de les restituer ou de procéder à leur destruction et, en cas de refus, de réparer le dommage subi par l’employeur.

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