Civ. 2e, 17 mars 2016, F-P+B, n° 15-11.412

Une société suspectait l’un de ses salariés de commettre des actes de concurrence déloyale. Elle saisit donc le président d’un tribunal de grande instance d’une demande de mesures d’instruction par une requête fondée sur l’article 145 du code de procédure civile, qui dispose que s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. Cette demande fut accueillie et la mesure sollicitée se déroula au domicile du salarié. Ce dernier assigna alors la société en rétractation des ordonnances sur requête.

Les juges du fond rejetèrent cette demande de rétractation, en se fondant pour partie sur une enquête confiée par l’employeur à un détective privé, qui a procédé à une filature du salarié de la sortie de son domicile jusqu’à son retour. Ils retinrent en effet que cette enquête ayant été réalisée sur sept jours dont six au cours desquels le salarié avait un planning d’activité précis à réaliser pour le compte de son employeur, elle est intervenue sur une période limitée, en vue d’opérer des constatations uniquement sur la voie publique, de sorte qu’elle ne présentait aucun caractère disproportionné au regard de la nécessaire et légitime préservation des droits et intérêts de l’employeur, s’agissant de soupçons d’une activité de concurrence déloyale qui amenait le salarié à visiter des clients autres que ceux prévus par son employeur pendant le temps de son travail.

Le salarié forma un pourvoi en cassation à l’encontre de la décision des juges du fond, en invoquant notamment l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, selon lequel « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». Dans ce cadre, la cassation intervient faute pour les juges du fond d’avoir écarté un moyen de preuve illicite pour caractériser le motif légitime d’ordonner une mesure d’instruction avant tout procès.

Cette cassation se situe dans la ligne de la jurisprudence habituelle. En effet, les juges du fond ont ici caractérisé l’existence d’un motif légitime d’ordonner une mesure d’instruction en se fondant pour partie sur l’enquête menée par le détective privé. Or, cette enquête devait être considérée comme un moyen de preuve illicite puisque, par hypothèse, elle n’est pas portée à la connaissance du salarié, qu’elle peut attenter à la vie privée et est donc déloyale. Il a ainsi déjà été jugé qu’une filature organisée par l’employeur pour contrôler et surveiller l’activité d’un salarié constitue un moyen de preuve illicite dès lors qu’elle implique nécessairement une atteinte à la vie privée de ce dernier, insusceptible d’être justifiée, eu égard à son caractère disproportionné, par les intérêts légitimes de l’employeur

Il est toutefois à noter que la Cour de cassation se garde, en ce domaine, de poser des principes généraux qui seraient déconnectés des circonstances. Aussi a-t-elle a pu considérer que « le contrôle de l’activité d’un salarié, au temps et au lieu de travail, par un service interne à l’entreprise chargé de cette mission ne constitue pas, en soi, même en l’absence d’information préalable du salarié, un mode de preuve illicite », dans une affaire où un employeur avait organisé un contrôle, confié à des cadres, pour observer les amplitudes et horaires de travail des équipes de contrôle dans un service public de transport mais en limitant ce contrôle au temps de travail et sans atteinte à la vie privée des salariés observés. 

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