CE 12 mars 2014, req. n° 368282

Le Conseil État et la Cour de cassation se sont engagés, depuis longtemps, dans un jeu d’influences réciproques et, plus récemment, dans un travail commun pour rapprocher leur jurisprudence. C’est ce à quoi ont abouti les deux plus hautes juridictions françaises en matière de licenciement pour motif économique. Elles ont ainsi successivement considérées que les difficultés économiques, rencontrées par l’entreprise et avancées au soutien de la décision ou de la demande d’autorisation de licencier, devaient s’apprécier au niveau du groupe, quels que soient les territoires et États d’implantation. Comme la Cour de cassation avant lui, le Conseil État a admis, au titre des causes économiques de licenciement, la réorganisation de l’entreprise à condition toutefois qu’elle soit effectuée en vue de répondre à une menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise.

Allant plus loin dans l’uniformité de sa propre jurisprudence, la Cour décide d’étendre à la réorganisation de l’entreprise le cadre d’appréciation des difficultés économiques. Aussi les juges du fond doivent-ils caractériser l’existence, au niveau du secteur d’activité du groupe auquel la société appartient éventuellement, d’une menace sur la compétitivité de ce secteur.

Dans l’arrêt ici commenté, le Conseil État rejoint, pour la première fois, la position adoptée par la Cour de cassation. Il rappelle, dans un premier temps, les tenants et aboutissants de la protection accordée aux salariés investis d’un mandat représentatif ou syndical, ainsi que la nature et le contenu du contrôle devant être exercé par l’administration et le juge face à un licenciement pour motif économique consécutif à un refus par le salarié de la modification de son contrat de travail. Il affirme, dans un second temps, que, si la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise peut constituer un motif économique, c’est à la condition que soit établie une menace pour la compétitivité de l’entreprise, laquelle s’apprécie, lorsque l’entreprise appartient à un groupe, au niveau du secteur d’activité dont relève l’entreprise en cause au sein du groupe.

En choisissant d’apprécier l’existence de la menace pesant sur la compétitivité au niveau du groupe auquel appartient l’entreprise, le Conseil établit un lien, plus ou moins direct, entre la sauvegarde de la compétitivité, d’un côté, et ses conséquences sur l’emploi, de l’autre, en l’occurrence la modification du contrat de travail. Il fait expressément de la sauvegarde de la compétitivité une cause économique de la modification du contrat de travail et, par voie de conséquence, du licenciement consécutif au refus du salarié. La sauvegarde de la compétitivité ne serait plus l’élément justificatif de la cause économique que serait la réorganisation de l’entreprise, mais une cause économique autonome. L’évolution est cohérente dans la mesure où la réorganisation comporte les mesures qui affectent l’emploi, que cela soit la suppression de postes ou la proposition de modification de contrats de travail. En réalité, ces suppressions ou propositions de modification trouvent directement leur « cause », au sens de lien de cause à effet, dans la menace qui pèse sur la compétitivité et non dans l’ensemble des mesures dont elles sont une des composantes.

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