Soc. 16 juin 2015, F-P+B, n° 14-16.953

Le travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié fait l’objet d’une interdiction et d’une sanction pénale qui le classe parmi les délits (C. trav., art. L. 8221-5 et L. 8224-1). Aussi, comme tout délit (C. pén., art. L. 121-3), la dissimulation d’emploi salarié nécessite l’existence d’une intention de la part de l’auteur des agissements incriminés. L’élément intentionnel du travail dissimulé ne reçoit toutefois pas exactement le même traitement selon que l’on s’adresse à la chambre sociale ou à la chambre criminelle de la Cour de cassation. La première exige des juges du fond que soit expressément établie l’intention de l’employeur de se soustraire à l’accomplissement des formalités et déclarations visées à l’article L. 8221-5 du code du travail. Elle refuse, par conséquent, que l’intention soit déduite du seul non-respect de prescriptions légales ou réglementaires, éventuellement consécutif à la conclusion d’un contrat par la suite requalifié en contrat de travail. L’approche de la chambre criminelle diffère puisque, selon elle, il suffit que les prescriptions susvisées aient été violées en connaissance de cause pour que la dissimulation d’emploi soit caractérisée.

Cette divergence est diversement appréciée en doctrine. Certains estiment en effet que la position de la chambre criminelle créerait une forme d’intention présumée. Mais d’autres approuvent cette position : l’intention coupable se définissant comme la volonté d’agir en connaissance de cause, l’employeur, censé en sa qualité de professionnel connaître les obligations de contrôle et de vérification qui pèsent sur lui, se rend coupable par intention en ne les respectant pas ; il n’y aurait donc pas, à proprement parler, présomption.

La chambre sociale décide, de son côté, de maintenir et de poursuivre son orientation. Dans le présent arrêt, une convention de forfait avait été conclue en application d’un accord d’entreprise, conformément d’ailleurs à ce qu’exige la loi (C. trav., art. L. 3122-2). Cependant, ce dernier avait fixé le plafond d’heures annuel au-delà du seuil légal de 1607 heures à partir duquel les heures supplémentaires doivent être décomptées (C. trav., art. L. 3122-4), impliquant, en cas de respect par la convention individuelle de forfait, qu’un certain nombre d’heures de travail ne figurent pas, en tant qu’heures supplémentaires, sur les bulletins de salaire et qu’ainsi une condamnation pour travail dissimulé soit encourue. Le point clef résidait précisément dans l’établissement de l’élément intentionnel et la chambre sociale refuse que celui-ci puisse être déduit de la seule application d’une convention de forfait illicite.

Fidèle à la jurisprudence exposée précédemment, la chambre sociale consacre néanmoins une hypothèse d’application qu’elle n’avait jusqu’alors entrevue que dans des arrêts inédits. Elle a pu décider que l’absence de conclusion d’une convention de forfait, pourtant autorisée par un accord collectif, ne caractérisait pas l’intention de dissimulation d’emploi. Beaucoup plus récemment, elle a suggéré, en présence d’un arrêt qui rejetait une demande en paiement d’une indemnité pour travail dissimulé au motif que l’illégitimité d’une convention de forfait ne suffisait pas à retenir l’existence d’un travail dissimulé, de rechercher, au cas où la convention se révélerait illicite, si l’employeur avait eu l’intention de dissimuler le travail du salarié.

L’assertion est aujourd’hui confirmée : la conclusion d’une convention de forfait illicite ne dispense pas d’établir l’intention de l’employeur de se soustraire aux prescriptions de l’article L. 8221-5 du code du travail. 

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