Soc. 9 nov. 2016, FS-P+B+R+I, n° 15-10.203

Le présent arrêt fait suite à l’action en justice du syndicat CFTC aux fins de voir interdire, sous astreinte, à la société Compagnie européenne de la chaussure d’employer des salariés le dimanche dans plusieurs établissements de vente. Le tribunal de grande instance, statuant en référé, avait fait droit à la demande du syndicat s’agissant de trente-huit établissements, sous astreinte provisoire. Par la suite le syndicat a saisi une nouvelle fois le juge des référés, cette fois d’une demande en liquidation de l’astreinte.

En dehors d’un premier moyen relatif aux effets de l’annulation de l’acte administratif autorisant à déroger à la règle du repos dominical (sur lequel la Cour de cassation a jugé que l’acte était réputé n’être jamais intervenu), la décision de la Cour de cassation porte sur la preuve de la violation de la règle du repos dominical. Sur ce point, la cour d’appel avait retenu que la preuve de cette violation n’était rapportée que dans trois établissements, au motif que la plupart des preuves (plannings, contrats de travail de salariés, lettres de salariés volontaires et bulletins de paie notamment) avaient été obtenues et produites de façon illicite. Ces preuves consistaient en des photocopies effectuées par les délégués du personnel, à l’occasion de la consultation relative aux documents établis par l’employeur pour le décompte de la durée du travail des salariés (C. trav., art. L. 3171-2). Selon la cour d’appel, l’illicéité des moyens de preuve reposait sur deux irrégularités : la consultation excluait toute appropriation par les délégués des documents appartenant à la société et les preuves contenaient des données personnelles dont les salariés n’avaient pas autorisé l’utilisation.

La chambre sociale contredit la cour d’appel sur ces deux arguments en retenant, d’une part, que la consultation prévue à l’article L. 3171-2 du code du travail « n’interdit pas à un syndicat de produire ces documents en justice » et, d’autre part, que « le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit nécessaire à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi ».

Selon le communiqué de la Cour de cassation accompagnant la décision, cette solution se justifie, quant au premier point, par le fait qu’« il faut permettre au syndicat, qui a pour mission de défendre les intérêts des salariés, d’exercer ses droits de façon effective ». Quant au second argument déployé par la Cour de cassation, la chambre sociale note que si la subordination n’a pas pour effet de priver le salarié des droits fondamentaux attachés à sa personne, tel que le droit à la vie privée, ce dernier doit s’articuler avec la nécessité de la preuve. Il convient alors, précise-t-elle, de prendre en considération la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle une partie doit se voir offrir « une possibilité raisonnable de présenter sa cause – y compris ses preuves » -, jurisprudence qui impose, selon elle, la mise en place d’un contrôle de proportionnalité (d’ailleurs déjà mis en œuvre par la première chambre civile). Dans la mise en œuvre de ce contrôle, elle relève que les documents ont été recueillis par les délégués du personnel « dans l’exercice de ses fonctions de représentation » et qu’ils ont pour objet de permettre de vérifier le respect, par la société, de la règle du repos dominical et des dispositions de l’ordonnance de référé. La Cour analyse ainsi l’absence de caractère frauduleux de la collecte des données comme l’un des éléments permettant de déduire « que la production de ces documents ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie personnelle des salariés concernés au regard du but poursuivi ».

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