Com. 16 déc. 2014, FP-P+B+R+I, n° 13-19.402

La durée excessive des liquidations judiciaires est un des fléaux bien connus des procédures collectives. Dans la présente affaire, la procédure, entamée en 1976 sous la loi du 13 juillet 1967, aura duré 35 ans, avant que le débiteur, en 2011, n’en demande (et n’en obtienne) la clôture, que lui accordera la cour d’appel de Nancy par un arrêt du 17 avril 2013 ! Et c’est pourtant cette décision que la Cour de cassation casse et annule. Mais la solution n’est choquante qu’en apparence. En réalité, justifiée en l’état des textes alors applicables, elle ouvre au débiteur, au prix d’un revirement de jurisprudence, un droit décisif, en lui permettant, malgré son dessaisissement persistant, d’agir en réparation contre l’État au titre de ses droits propres.

La cour d’appel avait cru pouvoir prononcer la clôture de la procédure de liquidation des biens, en s’appuyant sur l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme : « après avoir relevé que le comportement du débiteur a été dilatoire à l’extrême mais qu’en parallèle, le mandataire n’a pas rempli sa mission en usant de ses pouvoirs de contrainte pour poursuivre la vente forcée des immeubles, [elle avait retenu] que la durée totale de trente-trois ans de la procédure est excessive au regard des exigences d’un procès équitable, qu’elle a privé la procédure de sa justification économique qui est de désintéresser les créanciers de sorte que la privation du débiteur de ses droits sur son patrimoine ne se justifie plus ». Ce faisant, elle s’affranchissait de la ligne de la Cour cassation, selon laquelle : « La clôture pour insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire ne peut être prononcée lorsqu’il subsiste des actifs réalisables du débiteur susceptibles de désintéresser, même partiellement, les créanciers », ajoutant « qu’une difficulté de réalisation ou la perspective d’un faible prix de cession ne constituent pas l’impossibilité de poursuivre les opérations de liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif ».

À cet égard, la chambre commerciale maintient sa position. En revanche, elle desserre sa jurisprudence sur un autre point. Pour commencer, l’arrêt du 16 décembre 2014 reconnaît expressément, pour la première fois, « la violation du droit du débiteur à être jugé dans un délai raisonnable et celle, qui en résulte, de son droit d’administrer ses biens et d’en disposer ». D’où le visa des articles 6, § 1, de la Convention européenne et 1er du protocole additionnel, lequel protège le droit au respect de ses biens. Seulement, la Cour n’admet pas que cette violation soit sanctionnée par la clôture de la procédure de liquidation, tout simplement parce qu’une telle sanction n’est pas prévue. D’où le visa de l’article L. 643-9 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005, applicable à la liquidation des biens, comme à toute procédure ou situation en cours dès la publication de cette loi (art. 190).

Ainsi, l’avancée véritable opérée par la Cour de cassation tient à l’extension de la théorie des droits propres, qui échappent au dessaisissement frappant le débiteur, lui interdisant l’exercice de toute action concernant son patrimoine tant que dure la liquidation judiciaire, à celui d’agir contre l’État en réparation du dommage causé, pour faute lourde, par le fonctionnement défectueux du service de la justice, sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire.

Quant au législateur, il avait déjà, par la loi de 2005, édicté quelques timides mesures tendant à limiter la durée des liquidations judiciaires. L’ordonnance du 12 mars 2014 a fait un pas de plus en prévoyant, et cela même pour les procédures en cours le 1er juillet 2014, le prononcé de la clôture lorsque l’intérêt de la poursuite des opérations « est disproportionné par rapport aux difficultés de réalisation des actifs résiduels ».

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