Com. 2 juin 2015, FS-P+B+R+I, n° 13-24.714

Rendue encore sous l’empire du droit antérieur à la réforme du 26 juillet 2005, la solution formulée par le présent arrêt est, bien entendu, pleinement transposable sous l’empire du droit positif des procédures collectives. La décision est remarquable car, après un premier pas en ce sens accompli par la chambre sociale en 2007, la chambre commerciale y admet, pour la première fois, une brèche au monopole d’action du mandataire judiciaire, en faveur des salariés ayant subi un préjudice du fait de leur licenciement.

En l’espèce, pour favoriser la restructuration du groupe General Trailers, la société Bank of Scotland avait mis en place, au cours de l’année 2000, un montage financier. Après le redressement judiciaire, ouvert le 24 novembre 2003, de la société General Trailers France, filiale française du groupe, un plan de cession partielle avait été arrêté, prévoyant le licenciement de six cents salariés. Les commissaires à l’exécution du plan avaient assigné la banque en responsabilité pour octroi de crédits ruineux et cent neuf des salariés licenciés étaient intervenus volontairement à l’instance en réparation de leurs préjudices consécutifs à la perte de leur emploi, soit la perte pour l’avenir des rémunérations qu’ils auraient pu percevoir et l’atteinte à leur droit de voir leurs chances de retrouver un emploi optimisées, faute d’avoir pu bénéficier de formations qualifiantes.

Pour déclarer irrecevable l’intervention volontaire des salariés, la cour d’appel de Paris avait retenu que les préjudices allégués par eux sont inhérents à la procédure collective, dont ils sont la conséquence directe, et qu’ils sont subis indistinctement et collectivement par tous les créanciers. C’est cette lecture restrictive que censure cet arrêt du 2 juin 2015.

La chambre commerciale reconnaît donc, indiscutablement bien qu’implicitement, que les salariés ont subi un préjudice individuel fondé sur un intérêt distinct, selon la voie ouverte, de façon timide et un peu théorique, par l’assemblée plénière dès l’arrêt Astre de 1993. Se trouve ainsi confortée par la plus haute juridiction une poussée jurisprudentielle déjà sensible au niveau des juridictions du fond. À cette fin, la chambre commerciale se fonde sur un critère auquel elle n’avait jamais recouru aussi nettement : celui de la protection et de la reconstitution du gage commun des créanciers, lequel déterminerait les limites du rayonnement du monopole d’action du mandataire judiciaire, commissaire à l’exécution du plan ou liquidateur. Autrement dit, l’intérêt collectif des créanciers, pour la défense duquel le mandataire judiciaire a seul qualité pour agir, se mesure à l’aune de cette finalité centrée sur le gage commun des créanciers. Telle est d’ailleurs bien la position de la doctrine, qui en déduit que le monopole cesse lorsqu’il s’agit d’exercer une action dans l’intérêt d’un groupe particulier de créanciers.

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