Soc. 2 juill. 2014, FS-P+B, n° 13-12.562

1. Il n’y a, en principe, de grève qu’en présence d’un arrêt collectif et concerté du travail ayant pour but d’appuyer des revendications professionnelles. C’est la raison pour laquelle la grève dite « de solidarité », qui vise à défendre un ou plusieurs autres travailleurs ou à protester contre des mesures qui ne concernent pas directement les salariés engagés dans le mouvement, ne revêt pas cette qualification. L’arrêt de travail n’a alors pour objet ni un intérêt collectif professionnel, ni la modification ou l’amélioration des conditions de travail. Mais la défense des intérêts particuliers des salariés n’est pas exclusive de toute grève. Le présent arrêt en est l’illustration.

La Cour de cassation relève qu’un syndicat a appelé les salariés de l’entreprise à la grève pour soutenir les salariés menacés par des sanctions disciplinaires pour des faits commis lors d’un précédent mouvement de grève et que ces menaces avaient pu être perçues au sein de l’entreprise comme susceptibles de porter atteinte au droit de grève. Elle en déduit, sans qu’il soit nécessaire de rechercher, comme le prétendait le demandeur au pourvoi, le motif pour lequel les salariés visés par le mouvement ont été objectivement sanctionnés, que la mobilisation destinée à soutenir des salariés grévistes répond à un intérêt collectif et professionnel, de sorte qu’elle est qualifiée de grève.

L’arrêt s’inscrit a priori dans le cadre de la jurisprudence de la chambre sociale. Cette dernière admet les grèves de solidarité lorsqu’il existe un intérêt commun aux grévistes et aux salariés soutenus ou lorsque sont présentées des revendications « mixtes », c’est-à-dire mêlant à la fois des revendications professionnelles, relatives, par exemple, au salaire, au pouvoir d’achat, aux conditions de travail, et des revendications tendant à la défense d’un salarié menacé de sanction ou de licenciement.

Par ailleurs, il n’est pas surprenant que la Cour écarte l’argument selon lequel les juges devaient, pour contrôler la légitimité de la grève, rechercher le motif pour lequel les salariés visés par le mouvement ont été objectivement sanctionnés. En effet, s’interroger sur l’objectivité des motifs qui ont présidé aux mesures de sanctions pour savoir s’il y a eu ou non grève revient directement à se questionner sur le bien-fondé de la cessation de travail. Or, il est depuis longtemps acquis que le juge ne peut, sans porter atteinte au libre exercice d’un droit constitutionnellement reconnu, substituer son appréciation à celle des grévistes sur la légitimité ou le bien-fondé des revendications professionnelles.

2. Dans le même temps, la chambre sociale avait à se déterminer sur la qualification de faute lourde, seule à même de permettre à l’employeur de licencier un salarié pour des faits commis au cours d’une grève (C. trav., art. L. 2511-1). En l’espèce, un salarié avait participé, dans les

locaux de l’entreprise, à la séquestration d’un autre salarié, représentant de l’employeur. La cour d’appel a estimé que, l’employeur n’invoquant aucun comportement particulier imputable à l’intéressé permettant de distinguer ces agissements des autres salariés, la participation du salarié au mouvement de grève ne révélait aucune intention de nuire et, partant, ne caractérisait pas une faute lourde.

La Cour de cassation casse cet arrêt. Selon elle, les juges du fond avaient constaté que le salarié avait personnellement participé à l’action collective au cours de laquelle le directeur des ressources humaines avait été retenu plusieurs heures dans son bureau, dont il n’avait pu sortir qu’après l’évacuation par les forces de l’ordre des personnes présentes. Il en résultait que le comportement du salarié était constitutif d’une faute lourde.

La solution est doublement cohérente. Elle confirme, d’abord, que la séquestration d’un représentant de l’employeur emporte la commission d’une faute de lourde. Elle confirme, ensuite, que la faute lourde, malgré une absence de définition légale, règlementaire ou jurisprudentielle, est caractérisée dans deux séries d’hypothèses : d’une part, les atteintes à la personne (violences à l’encontre de la direction ou de non-grévistes, ou lorsque ces derniers sont empêchés, par la contrainte, de se déplacer en toute liberté) ; d’autre part, les atteintes portées à une liberté économique, telle que la liberté de travailler des non-grévistes ou la liberté d’entreprendre de l’employeur.

Elle se démarque, néanmoins, sur deux points. Le premier concerne l’identification des faits et de la faute imputable au gréviste. Le précédent arrêt rendu sur la question, en faisant référence au rôle de meneur du salarié, pouvait laisser entendre qu’il fallait, parmi tous les participants à la séquestration, déterminer les actes commis par chacun. Le présent arrêt, sans opérer de revirement de jurisprudence, précise qu’il n’est pas nécessaire d’identifier avec précision le rôle exactement joué par le salarié pendant sa participation à la séquestration. La contrainte exercée sur le salarié ou la personne retenue dans les locaux peut n’être que le résultat de la présence physique de plusieurs salariés, et ce, sans que l’un ou plusieurs d’entre eux aient accomplis un acte spécifique. Le second point remarquable du présent arrêt concerne l’absence de référence faite à l’intention de nuire du salarié dont les agissements sont qualifiés de faute lourde, alors que la motivation des juges du fond l’invitait à se placer sur ce terrain-là. L’intention de nuire caractérise, certes, la faute lourde quand il s’agit de priver le salarié de ses indemnités de congés payés ou d’engager sa responsabilité civile dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail. Cependant, la grève a ceci de particulier que, bien que licite, elle procède d’une intention de nuire à l’égard de l’employeur. Rechercher l’intention de nuire pour caractériser un comportement anormal dans le cadre de l’exercice du droit de grève serait dès lors contre-nature. Cela n’a toutefois pas empêché la Cour d’y faire allusion, serait-ce rarement. Elle y eut recours récemment, mais sembla avoir mis fin à cette référence particulièrement incohérente. Le présent arrêt paraît confirmer cette dernière tendance.

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