Soc. 15 janv. 2014, FS-P+B, n° 12-20.688

 

La présente décision s’inscrit dans le sillage d’une jurisprudence bien établie en matière du contrôle de la qualification du harcèlement moral. Depuis plusieurs arrêts rendus en 2008, la chambre sociale impose, en effet, un raisonnement précis en deux étapes et ne manque pas de censurer les juges du fond qui ne le respecteraient pas. Ainsi, au visa des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, la Cour de cassation rappelle régulièrement le principe selon lequel lorsque le salarié établit la matérialité des faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral. Il incombe ensuite à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. La règle jurisprudentielle impose donc au salarié d’apporter un certain nombre d’éléments au soutien de ses prétentions. Et s’il ne lui revient pas de prouver le harcèlement en tant que tel, il doit néanmoins faire état de faits laissant présumer qu’il a été victime de tels agissements. Selon la formule consacrée, peuvent constituer un harcèlement moral des « agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre sa vie professionnelle ».

En l’espèce, une salariée avait été licenciée au motif que ses absences répétées désorganisaient le fonctionnement de l’entreprise. Estimant que ses absences étaient la conséquence d’un harcèlement moral dont elle était l’objet, la salariée contesta son licenciement devant le conseil de prud’hommes. Au soutien de ses allégations, la salariée versa aux débats des comptes-rendus de réunions de délégués du personnel mentionnant des convocations et sanctions répétées à l’encontre des salariés, un certificat médical établi à la suite d’une hospitalisation en raison d’une intoxication médicamenteuse volontaire et invoqua un climat de suspicion et de pressions ressenties par un certain nombre de salariés. Face à ces éléments, l’employeur produisit, notamment, un compte-rendu d’entretien avec la salariée faisant ressortir que celle-ci mentionnait souffrir d’un stress non pas lié à ses conditions de travail mais à de graves problèmes familiaux.

La cour d’appel donna raison à l’employeur,  en retenant que si les pièces produites par la demanderesse tendaient à établir des faits laissant présumer des agissements répétés de harcèlement moral, elle n’a en revanche apporté aucun élément, tel qu’un certificat médical ou même des attestations, susceptibles de prouver que le harcèlement moral dont elle a été l’objet était effectivement la cause de ses absences répétées ou participait au processus qui les avait générées.

La Cour de cassation censure logiquement la position des juges du fond au motif qu’ils avaient constaté l’existence d’agissements susceptibles d’altérer la santé physique ou mentale de la salariée et permettant ainsi de faire présumer l’existence d’un harcèlement, sans en tirer les conséquences. Par conséquent, reprenant sa formule classique, la Cour énonce qu’il revenait à l’employeur d’établir que le licenciement était justifié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Les hauts magistrats font d’ailleurs preuve de pédagogie à l’égard des juridictions du fond, en censurant, d’une part, leur manque de rigueur et, d’autre part, en rappelant que dans le cadre d’un contentieux si sensible, la protection du régime de la présomption en matière de harcèlement moral est essentielle à la protection de la santé et de la sécurité des salariés.

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