Avocat procédure civile Marseille

Maître Laure TRAPÉ – Avocate au Barreau de Marseille

S’il est vrai qu’en cas de désaccord la fonction de faire  juger et faire trancher apparaît à peu près spontanément comme une nécessité, le législateur depuis une dizaine d’années est parvenu à inciter, puis à contraindre, à utiliser d’autres réponses particulièrement adaptées au contrat (contrat commercial et civil, vie des affaires). Mais le Contrat nous réunit tous, dans tous les actes de la vie sociale, il apparait dès le premier échange et la première poignée de mains. 

Les modes amiables de règlement des différends (MARD) (i.e., la médiation, la conciliation ou encore la procédure participative) sont au cœur des politiques publiques de réforme de la justice, en constituant désormais un préalable obligatoire  à la saisine des tribunaux. 

Dès lors, et paradoxalement  la négociation amiable dans la résolution des différends et des conflits, est le prélude à la reprise du combat pour avoir raison, victoire que donne le juge judiciaire ou défaite qu’il impose mais qui par ce qu’elle est organisée par la loi alors est acceptable et acceptée. 

Mais surtout, la médiation ou la conciliation codifiée, déroulant son processus par étape et requérant l’approbation des participants,  offre  une première  réponse à la crise, mutation,  ou défaillance, qui épuise le monde judiciaire et donc la Justice du XXIe siècle.

La promotion des MARDS s’est accompagnée de mesures fortes portées par la réforme de la prescription et du droit des obligations. 

En effet, dorénavant toute tentative de conciliation ou de médiation impulsée suspend le cours de la prescription (C. civ., art. 2238). Par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, la clause de règlement amiable contenue dans un contrat (de médiation ou de conciliation) survit à la résolution du contrat.

Cependant, malgré cet effort du législateur de vouloir alléger la compétence des tribunaux en favorisant les modes amiables de règlement des différends, il n’en demeure pas moins qu’il subsiste des zones de péril, qui obligent les parties à recourir à des mesures judiciaires non contradictoires afin de solutionner le conflit et surtout empêcher que ses effets nocifs perdurent.

Ces zones de péril, qui ne se solutionnent que par l’intermédiaire des tribunaux, enlèvent non seulement de l’attractivité aux MARDS initialement promues, mais rallongent indéniablement le temps de résolution du conflit, vu qu’elles sont devenues un préalable obligatoire à la saisine des tribunaux. 

Dès lors, eu égard à ces paradoxes entre persistance et insolubilité du conflit avec ses dommages directs et collatéraux , quelles sont les solutions que le législateur peut apporter afin d’améliorer l’efficacité de la justice dans l’utilisation des MARDS ? 

I – « Les parties, rien que les parties » : paradoxes entre la liberté et l’ordre public

De manière quasi systématique, la réforme du droit des contrats, le nouveau Code Civil, les réformes en Procédure Civile, dont la dernière entrée en vigueur au 1ER janvier 2020 poussent les parties au contrat à envisager aujourd’hui au moment même où elles s’accordent, les risques de désaccord futurs et les palliatifs sur lesquelles elles s’entendent.

Le « contrat » quel qu’il soit peut et doit, préalablement à toute procédure juridictionnelle, organiser une tentative de résolution amiable ou conciliatoire pour le règlement d’un éventuel différend qui pourrait intervenir dans les relations contractuelles. Le ciel n’est pas toujours bleu !

Tenter la résolution amiable signifie commencer à chercher à limiter les effets du désaccord sur le bon fonctionnement du contrat. 

Ces clauses de médiation ou de conciliation, sont nombreuses et présentes désormais dans la plupart des conventions et accords écrits. Elles  ne surprennent plus, signe qu’elles sont  inévitables et que l’illusion d’une idylle éternelle ne fait pas bon ménage avec le bon sens et la volonté de partenariats durables. Décider  d’affronter ensemble un obstacle ou d’éviter ensemble un gouffre  revient également à admettre que les deux partenaires commerciaux ne font pas à eux seuls la règle des cours du marché ou des aléas conjoncturels.

À défaut de l’avoir envisagée dans leur contrat, les parties ne s’interdisent pas pour autant de mettre en œuvre une médiation ou une conciliation avant tout recours au juge, l’offre reste ouverte car la loi et le règlement  l’ont  organisée.

L’avocat sans aucun doute peut évaluer et  favoriser les médiations ou conciliations ad hoc, où les parties déterminent elles-mêmes les modalités du processus de médiation ou de conciliation ; partenaire discret mais influent il peut recadrer, nuancer, simplifier à la demande de son client, en tout cas il l’accompagne dans l’univers du Droit, du possible face à l’interdit.

Le législateur donne des durées minimum et pertinentes a priori. D’aucun diraient que le législateur enferme les parties dans des délais trop courts de résolution mais  rien n’interdit de les prolonger ou de prévoir une durée plus longue. Les parties doivent conserver leur liberté contractuelle, y compris dans la résolution de leurs différends. Etre créatif n’est pas réservé aux arts plastiques. 

Les « partenaires de ce désaccord » ont le pouvoir  de déterminer librement la compétence rationae materia, le déroulement de leur procédure dans le temps et l’espace, la nomination du médiateur, ou encore sa rémunération, celle de techniciens.

Le désaccord contractuel n’a pas pour enjeu la vérité absolue mais bien celle de la vérité perçue entre deux entités spécifiques pour ne pas dire « spéciales » : les « co contractants », partenaires d’une convention voulue équilibrée.

Les parties doivent pouvoir également modifier les conditions, le contenu de leur  conflit si nécessaire. Le cadre général posé par le législateur ne suffit pas à améliorer la résolution des litiges. 

Le temps ou l’aléa conjoncturel peut rendre subsidiaire un problème initialement majeur ou encore, un effort (remise partielle de pénalités de retard, report d’échéance, compensation négociée, réassurance de risque etc…)

Il est nécessaire de prendre les comptes les spécificités de chaque litige. Et qui de mieux que les parties elles-mêmes pour décider des conditions spécifiques et majeures de résolution de leurs différends ? 

Inciter n’a pas suffi. Pendant 6 ans les tribunaux de commerce ont eu peu d’audiences de conciliation Désormais renforcés dans leur conviction par l’arsenal législatif et règlementaires, ils offrent la conciliation judiciaire et renvoient si l’occasion n’est pas saisie aux Mards extra judiciaires.

Signe de l’évolution des mœurs, les tribunaux de commerce mais aussi les tribunaux civils tout en restant aptes à trancher offrent le choix entre la vérité tranchée pas forcément juste et la vérité partagée et équitable  par une suggestion habile.

Les juridictions et leurs magistrats sont bien placés et  à même d'évaluer les chances de réussite de la démarche conciliatoire, et se trouvent renforcés dans leur pouvoir de  trancher  par la « tentative amiable » imposée comme un préalable de droit commun à toute introduction d'instance. 

Dès lors, ce qui se voulait être une mesure de promotion et de célérité de la justice risque d'avoir des effets pervers en faisant perdurer des zones de périls et d’effondrement . Le temps de la procédure ne serait - il pas augmenté, le temps de la résolution serait il ralenti sans bénéfice immédiat  du fait de la nomination d'un médiateur ou d'un conciliateur par le juge ?

II – Quelles solutions sont envisageables ?  

A – Donner du temps aux partenaires contractuels pour terminer ou modifier les conditions d’un conflit

« Transiger » est devenu le mot d’ordre de résolution des conflits. Économie de temps, la volonté sociale a souhaité imposer les MARDS comme préalable à toute saisine du juge. Cependant, le temps est parfois la bête noire des parties dans la résolution de leur conflit à l’amiable. Il est important pour les parties de pouvoir suspendre le cours du temps pour résoudre leur conflit. Le conflit n’est pas une notion figée dans le temps, et chaque différend détient ses propres problématiques. L’enfermer dans un délai réduit - pour ne pas perdre de temps, pour des motifs de célérité voire des contraintes de productivité  - peut faire perdre  son sens voire son efficacité aux  MARDS pourtant mise en avant  par le législateur. 

La négociation d’un accord peut se réaliser et se conduire dans de nombreux domaines, sans qu’aucun mode spécifique soit imposé. 

L’esprit des textes y est favorable, en dehors du procès ou lorsque le procès est déjà engagé, l’article 128 du Code de procédure civile disposant que « Les parties peuvent se concilier, d’elles-mêmes ou à l’initiative du juge, tout au long de l’instance ». Lorsque c’est le cas, l’article 129-1 du même Code prévoit qu’elles « peuvent toujours demander au juge de constater leur conciliation ».

Il est important de laisser aux parties le pouvoir de terminer un conflit ou d’en suspendre le cours pour modifier les conditions du conflit fluctuant ou persistant  qu’elles traversent. Ainsi, et à cette condition, la volonté sociale de négociation, encadre les efforts réciproques et établit une issue acceptée et équilibrée, dotée de la même valeur et valeur de conviction  que la décision du tribunal interprétant  la loi appliquée.

De la négociation à la sentence arbitrale (qui est une mesure plus ancienne et qui a fait ses preuves malgré le désamour provisoire en France du fait d’arbitrages ayant eu des retombées politico financières graves ) sont des modes privilégiés  de la résolution des différents non judiciaires.

L’émergence des MARDs  révèle  la diversité des solutions futures et prouve que l’utopie d’une vérité absolue et tranchée par une lame aiguisée tenue par un aveugle n’est pas l’unique solution à un problème mais que seule une solution pertinente règle  le problème et permet la poursuite de relations commerciales. En 2020 l’offre des MARDS est  un fil d’Ariane qu’il convient de suivre pour trouver le mode non plus alternatif mais approprié ou adapté de règlement des différends. Une étude approfondie et préalable de la situation des parties et de leurs attentes est exigée, un travail soutenu est requis, imaginer des propositions est indispensable et penser pour l’autre et avec l’autre est vital.

Paradoxalement une convention participative ou une médiation en apprend plus sur le fonctionnement du contrat et le degré d’implication et d’anticipation qui manquait que n’importe quel procès.Chacun en ressort apte à appréhender  lucidement, comme « aguerri « les indices annonciateurs d’une  difficulté du même genre. Ce n’est pas la panacée mais cela favorise le retour rapide à la normale.

B – Élargir la liberté de trouver de nouveaux accords

En cas d’insolubilité d’un conflit à la marge, il est évident que l’intervention du juge est rendue nécessaire pour garantir le bon ordre et la justice. Néanmoins, à des fins de célérité de la justice (un besoin rendu nécessaire pour la justice du XXIe siècle), il est nécessaire d’élargir la liberté aux parties de trouver de nouveaux accords jusqu’à certains seuils.

Parfois, les parties sont d’accord sur l’essentiel, mais la résolution de l’entier conflit n’est pas rendue possible du fait de divergences sur certaines prétentions. Une solution envisageable serait d’être d’accord sur les désaccords persistants au cours de la résolution du conflit, quitte à abandonner certaines prétentions financières, afin de régler à l’amiable le conflit (ce qui, in fine, est un gain de temps considérable pour les parties, et pour l’appareil judiciaire ). 

Néanmoins, l’ordre public doit garantir un recours judiciaire quand les effets du  litige atteignent  certains seuils, d’entrave au  bon fonctionnement de la société partenaire  ou de tous les co contractants et que n’apparait aucune volonté d’apaisement suffisante.

La survie, quelle que soit la volonté sociale d’apaisement, de zone de péril ( qu’il y ait conflit ou obstruction) oblige à recourir à des mesures judiciaires non contradictoires, qui restent malgré quelques toilettages pour en limiter le recours, les mesures ultimes pour changer la donne d’un conflit insoluble autrement. 

De fait  l’appareil judiciaire coexiste avec les modes amiables de règlement des litiges et sans créer de hiérarchie entre les litiges offre une large palette de solutions et de méthodes.

En conclusion, il est clair que certaines solutions sont envisageables pour répondre aux paradoxes qui existent entre volonté de favoriser puis d’imposer  le recours aux  MARDS rendu obligatoire avant toute saisine du juge, et la survie de besoin de recourir aux  tiers éclairés  et  la réalité pratique avec l’existence de zones de périls qui obligent à recourir à des mesures judiciaires contradictoires ou   non contradictoires.

Le législateur français a perçu le temps comme élément essentiel  de solution des difficultés contractuelles. Désormais nous pouvons accepter qu’il soit suspendu le temps d’une médiation, l’accélérer en convention participative, nous  contraindre à tourner la page et confier le temps long à une juridiction ou encore saisir la même juridiction pour obtenir une mesure brutale ou lapidaire provisoire nécessaire avant un débat  public sur la vérité du contrat.

Les termes de productivité s’appareillent  mal aux outils judiciaires ; néanmoins il semble que  l’arsenal législatif a diversifié son offre comme  preuve d’une volonté de s’adapter à la vie économique et aux besoins de réponses  et de solutions des citoyens et des partenaires contractuels.  Le monde du Droit  s’avère sous cet angle moins obscur.

 

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Le recours à un avocat sécurise vos démarches et vous permet de définir vos priorités et les moyens de parvenir à une solution adaptée.