Soc. 4 févr. 2015, FS-P+B, n° 14-13.646

La Cour de cassation maintient sa ligne jurisprudentielle tracée au sujet de la reconnaissance du préjudice d’anxiété accordé aux salariés admis au bénéfice de l’allocation de cessation anticipée d’activité (ACAATA). Pour la première fois, par un arrêt du 11 mai 2010, la chambre sociale avait admis la réparation de ce préjudice aux salariés qui avaient été exposés à l’amiante du fait de l’angoisse permanente dans laquelle ils se trouvent de développer une maladie liée à ce matériau. La Cour avait alors posé une série de trois conditions pour caractériser ledit préjudice : avoir travaillé dans un des établissements visés par l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ; se trouver « dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante » ; et justifier de contrôles médicaux et d’examens réguliers attestant de cette angoisse. Puis, par un arrêt de 2012, la Cour a assoupli la reconnaissance de ce préjudice en abandonnant l’exigence de cette troisième condition.

Dans le cadre de la présente affaire, le Grand Port Maritime de Dunkerque, inscrit par arrêté ministériel du 11 décembre 2001 sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice de l’ACAATA, avait signé le 18 juin 2002, avec un certain nombre d’organisations syndicales représentatives du personnel de l’établissement, un accord d’entreprise intitulé « protocole d’accord relatif à la mise en œuvre de la cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante ». Cet accord instaurait une indemnité de fin de carrière bonifiée au profit des salariés remplissant les conditions pour bénéficier de l’ACAATA et mettant fin de manière anticipée à leur activité professionnelle. Toutefois, pour échapper à ce nouveau poste d’indemnisation, l’entreprise a négocié, le 1er mars 2012, un avenant  énonçant que l’indemnité de fin de carrière bonifiée a pour cause la volonté des signataires d’indemniser forfaitairement les salariés pour l’ensemble des préjudices de toute nature éventuellement subis du fait d’une exposition potentielle à l’amiante au cours de leur carrière au sein de l’entreprise. Il y est mentionné aussi que cet avenant a une valeur interprétative de façon à le rendre opposable aux salariés ayant bénéficié de l’indemnité bonifié avant sa signature. La cour d’appel de Douai, tirant les conséquences du caractère interprétatif de l’avenant de 2012, a considéré que le montant de l’indemnité bonifiée perçue antérieurement à l’avenant devait être déduit de l’indemnisation du préjudice d’anxiété obtenue en justice postérieurement.

La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au motif qu’un « accord ne peut être considéré comme interprétatif qu’autant qu’il se borne à reconnaître, sans rien innover, un état de droit préexistant qu’une définition imparfaite a rendu susceptible de controverse ». Par conséquent, l’indemnité conventionnelle de fin de carrière bonifiée prévue par l’accord du 18 juin 2002, interprété par l’avenant du 1er mars 2012, ne s’impute pas, si elle a été effectivement versée, sur l’indemnité allouée aux salariés au titre du préjudice d’anxiété. Ainsi, la Cour fait du préjudice d’anxiété résultant de l’exposition à l’amiante un chef de préjudice ouvrant droit à une réparation autonome.

Cette décision est, au demeurant, une confirmation de l’arrêt du 19 mars 2014 par lequel la chambre sociale a considéré que l’existence d’un accord d’entreprise assurant une compensation plus importante de la perte de revenu, résultant de la cessation d’activité, n’interdit pas une demande ultérieure en réparation d’un trouble psychologique résultant du risque de déclaration, à tout moment, d’une maladie liée à l’amiante.  

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