Soc. 12 mai 2015, FS-P+B, n° 13-20.349

Si le salarié dispose de droits à congés payés légaux, il reste indispensable qu’il décide de les prendre, faute de quoi il en perd le bénéfice. Mais encore est-il nécessaire que le salarié ayant perdu son droit ait eu la possibilité de l’exercer effectivement. La Cour de cassation offre ainsi au salarié la faculté d’obtenir réparation du préjudice qu’il a subi lorsque la perte du droit à congé est imputable à l’employeur. Cependant, la Cour a, pendant longtemps, mis un frein à cette faculté en faisant peser sur le salarié la charge de la preuve qu’il avait été privé de son droit du fait de l’employeur. Elle a, néanmoins, fini par opérer un revirement de jurisprudence : depuis un arrêt de juin 2012, il appartient désormais à l’employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu’il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement. La solution a reçu confirmation et l’on aurait pu s’attendre à ce qu’elle perdurât encore aujourd’hui. Pourtant, la chambre sociale vient de rendre un arrêt qui semble contredire ce mouvement jurisprudentiel.

En l’espèce, un salarié, engagé en qualité de directeur général adjoint d’une association dépendant de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées du 15 mars 1966, avait demandé devant la juridiction prud’homale, sur le fondement de l’arrêt de 2012, un rappel de congés payés trimestriels spécifiquement accordés, en sus des congés légaux, aux cadres en vertu de l’annexe n° 6 de cette convention issue des avenants n° 265 du 21 avril 1999 et n° 1 du 20 juin 2000 (art. 17). Il fut débouté de sa demande en appel, ce que vient confirmer la Cour de cassation. Après avoir rappelé en substance le contenu de la stipulation précitée, cette dernière décide, en effet, « qu’ayant constaté que le salarié avait pris une partie de ces congés conventionnellement fixés et qu’il n’établissait pas n’avoir pu les prendre du fait de l’employeur, la cour d’appel a fait une exacte application de la loi ». La Cour fait donc peser sur le salarié la charge de la preuve de l’impossibilité dans laquelle il s’est trouvé de bénéficier de ses congés conventionnels du fait de l’employeur, et ce, contrairement à la jurisprudence qui a cours depuis trois ans. Une telle différence d’approche pourrait se justifier de deux manières radicalement différentes.

En admettant que le congé conventionnel dispose d’un régime juridique distinct du congé payé légal, l’employeur ne serait pas tenu des obligations qui pèsent sur lui en matière de prise de congé, ce qui n’entraînerait, par conséquent, aucun renversement de la charge de la preuve. La solution serait surprenante tant il serait logique, en l’absence de toute stipulation conventionnelle, que le régime du droit ou avantage octroyé par convention ou accord collectif de travail suivît celui le même régime que le droit ou avantage établi par la loi dont il est le prolongement.

Si les deux types de congés devaient disposer d’un régime juridique identique, le fondement du présent arrêt devrait être cherché dans celui de l’arrêt de 2012. Contrairement à ce qui avait pu être avancé, la chambre sociale n’a pas opéré un renversement pur et simple de la charge de la preuve. Elle ne l’a fait qu’à hauteur des obligations qui incombent à l’employeur en matière de prise des congés payés. C’est, en effet, ce qu’indique le visa des articles D. 3141-5 et D. 3141-6 du code du travail qui y figurait : l’employeur doit prouver qu’il a porté à la connaissance des salariés la période de prise des congés ainsi que l’ordre des départs en congé. Cela devait signifier qu’une fois démontrée la correcte exécution de ses deux obligations par l’employeur, il reviendrait au salarié d’apporter la preuve de l’imputabilité de l’impossibilité de prendre les congés payés.

La Cour n’est toutefois pas suffisamment explicite sur la raison qui la pousse à considérer que, dans le cas d’espèce, il appartenait au salarié de prouver qu’il n’avait pu prendre ses congés du fait de l’employeur. Rien n’indique que l’employeur a démontré avoir rempli les obligations des articles D. 3141-5 et D. 3141-6 du code du travail. Seule figure la constatation faite par les juges du fond que le salarié avait pris une partie des congés conventionnellement fixés. Peut-être que la prise de congés supplémentaires par le salarié pourrait indiquer que l’employeur a fait le nécessaire pour lui permettre de bénéficier effectivement de ses droits, justifiant ainsi un renversement de la charge de la preuve. Une telle déduction paraît néanmoins précaire dans la mesure où la prise partielle des congés ne préjuge pas du non-respect ultérieur par l’employeur de ses obligations.

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