Civ. 1re, 7 oct. 2015, FS-P+B+I, n° 14-16.898 

Une société irlandaise et une société française concluent un contrat contenant une clause attributive de juridiction désignant les juridictions irlandaises et permettant par ailleurs à la première de ces sociétés de saisir les juridictions françaises ainsi que les juridictions de tout pays où elle aurait subi un préjudice.
La société française saisit le tribunal de commerce de Paris. Une exception d’incompétence est alors soulevée au profit des juridictions irlandaises, qui est accueillie. Le contredit ayant été rejeté par la cour d’appel, un pourvoi en cassation est formé, ce qui a donné lieu au prononcé de l’arrêt rapporté, du 7 octobre 2015.

Cet arrêt mérite de retenir l’attention, de deux points de vue, étant indiqué qu’était applicable l’article 23 du règlement n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, qui prévoit la possibilité d’une prorogation de compétence, par la voie de la conclusion d’une clause attributive de compétence.

En premier lieu, le pourvoi faisait grief à la décision d’appel d’avoir retenu que la clause attributive de juridiction n’avait pas de caractère potestatif, alors, en substance, que la société irlandaise pouvait saisir les juridictions de plusieurs États, contrairement à la société française qui ne pouvait saisir, aux termes de la clause, que les juridictions irlandaises. Ce faisant, le demandeur au pourvoi s’appuyait à l’évidence sur un arrêt de la première chambre civile du 26 septembre 2012, qui avait approuvé les juges du fond d’avoir retenu que la clause attributive aux termes de laquelle l’une des parties se réservait le droit d’agir au domicile de l’autre ou devant « tout autre tribunal compétent » ne liait, en réalité, que cette autre partie et revêtait donc un caractère potestatif à l’égard de la banque. La situation était toutefois différente en l’espèce puisque même si les parties n’avaient pas la même latitude dans le choix de la juridiction compétente, la clause n’en permettait pas moins d’identifier les juridictions amenées à se saisir d’un éventuel litige les opposant. En conséquence, la clause répondait bien, selon l’expression utilisée par la Cour de cassation, « à l’impératif de prévisibilité auquel doivent satisfaire les clauses d’élection de for ».

En second lieu, les juges du fond avaient considéré que la clause attributive de juridiction avait vocation à s’appliquer à tout litige né de l’exécution du contrat, sans doute car la clause n’établissait pas de restrictions quant à sa portée. Toutefois, l’espèce recelait une spécificité, qui s’est révélée décisive. La société française invoquait en effet des pratiques anticoncurrentielles et des actes de concurrence déloyale. En ce domaine, la Cour de justice a récemment posé un principe spécifique, selon lequel l’article 23 du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il permet, dans le cas où des dommages et intérêts sont réclamés en justice en raison d’une infraction au droit des ententes de l’Union, de prendre en compte les clauses attributives de juridiction, à la condition que ces clauses se réfèrent aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d’une infraction au droit de la concurrence. Or, en l’espèce, la clause attributive ne se référait pas à l’hypothèse de pratiques anti-concurrentielles. Par suite, la position des juges du fond ne pouvait qu’être censurée.

Pour conclure, il est à noter que la portée de cet arrêt du 7 octobre 2015 a vocation à s’étendre au règlement – dit Bruxelles I bis – n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, qui s’est substitué le 10 janvier 2015 au règlement Bruxelles I. Si ce nouveau règlement a, en partie, modifié le régime des clauses attributives de compétence (notamment en ce qui concerne le lieu du domicile des parties et l’autonomie de la clause), les principes mis en œuvre par l’arrêt rapporté ne sont, en effet, pas affectés. 

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