Cons. const. 20 mai 2020, n° 2020-841 QPC

Les dispositions du code de la propriété intellectuelle (CPI) relatives aux pouvoirs des agents de la commission de protection des droits de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) pour mettre en œuvre la procédure dite de « réponse graduée » sont-elles conformes à la Constitution ?

Pour rappel, le titulaire d’un accès à internet doit veiller à ce que cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de contrefaçon des droits de l’auteur ou d’un droit voisin (CPI, art. L. 336-3). Lorsqu’ils sont saisis d’un manquement à cette obligation, les membres de la HADOPI peuvent demander aux opérateurs de communications électroniques « notamment […] l’identité, l’adresse postale, l’adresse électronique et les coordonnées téléphoniques de l’abonné » (CPI, art. L. 331-21, al. 5). Ils sont également en droit de réclamer la communication et la copie de « tous documents, quel qu’en soit le support, y compris les données conservées et traitées » (CPI, art. L. 331-21, al. 3 et 4). Or, plusieurs associations soutenaient que ces dispositions méconnaissent le droit au respect de la vie privée, la protection des données à caractère personnel et le secret des correspondances. Et tel est bien le cas, en partie, selon le Conseil constitutionnel.

Le Conseil rappelle qu’il « incombe au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de la propriété intellectuelle et, d’autre part, l’exercice des droits et des libertés constitutionnellement garantis », parmi lesquels « figure le droit au respect de la vie privée protégé par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ».

Il considère que le législateur a assorti le droit de communication portant sur l’identité, les adresses postales et électroniques ainsi que les coordonnées téléphoniques de l’abonné de garanties assurant cet équilibre. Il retient en particulier que ce droit ne s’accompagne pas d’un pouvoir d’exécution forcée, qu’il est réservé à des agents publics habilités, assermentés, soumis au secret professionnel et que les informations obtenues présentent un lien direct avec la procédure mise en œuvre par la HADOPI. Elles sont nécessaires pour adresser aux auteurs des manquements la recommandation qui leur rappelle le contenu de leur obligation, leur enjoint de la respecter et leur indique les sanctions auxquelles ils s’exposent. Par conséquent, le dernier alinéa de l’article L. 331-21 est conforme à la Constitution, à l’exception du mot « notamment ».

Les Sages jugent contraires à la Constitution ce terme « notamment » ainsi que les troisièmes et quatrièmes alinéas de l’article L. 331-21 du code de la propriété intellectuelle. Ils permettent aux agents de la HADOPI de se procurer « tous documents, quel qu’en soit le support », y compris les données de connexion. Mais la loi ne précise pas les personnes auprès desquelles ce droit de communication s’exerce. Aussi les juges de la rue de Montpensier estiment-ils que ce droit n’est pas limité dans son champ d’exercice et qu’il permet aux agents de la HADOPI de se procurer des documents sans lien direct avec la violation de l’obligation visée à l’article L. 336-3 précité. Le Conseil insiste également sur le fait que cette communication s’étend à « toutes » les données de connexions détenues par les opérateurs. Or elles fournissent « sur les personnes en cause des informations nombreuses et précises, particulièrement attentatoires à leur vie privée » qui ne « présentent pas non plus nécessairement toutes de lien direct avec le manquement à l’obligation énoncée à l’article L. 336-3 ». Dans ses conditions, le législateur n’a pas entouré la procédure permettant d’obtenir ces informations « de garanties propres à assurer une conciliation qui ne soit pas manifestement déséquilibrée entre le droit au respect de la vie privée et l’objectif de sauvegarde de la propriété intellectuelle ». L’abrogation de ces dispositions interviendra le 31 décembre 2020.

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