CJUE, 5e ch., 26 mars 2020, aff. C-622/18

Le titulaire d’une marque frappée de déchéance peut-il invoquer l’atteinte à ses droits, en cas de prétendue contrefaçon, sur une période antérieure au prononcé de la sanction ?

La marque semi-figurative SAINT GERMAIN, a été enregistrée le 12 mai 2006, pour des produits et services relevant des classes 30, 32 et 33 (boissons alcoolisées). En 2012, le titulaire de cette marque a assigné, devant le tribunal de grande instance de Paris, les fabricants et distributeurs d’une liqueur dénommée « St-Germain ». Cette action a été menée en parallèle d’une autre action engagée devant le tribunal de grande instance de Nanterre qui, par jugement du 28 février 2013, a prononcé la déchéance de la marque SAINT GERMAIN à compteur du 13 mai 2011, confirmée par la cour d’appel de Versailles le 11 février 2014. À la suite de cette décision, devenue irrévocable, le titulaire de la marque a maintenu ses demandes en contrefaçon par imitation pour la période antérieure au 13 mai 2011. Tant en première instance qu’en appel, ces demandes furent rejetées, les juges du fond considérant que le requérant ne pouvait justifier de l’exploitation de sa marque et qu’il n’était, de ce fait, porté atteinte ni à la fonction d’origine de la marque ni à sa fonction d’investissement.

Saisie du pourvoi du titulaire déchu de ses droits, la Cour de cassation a posé à la Cour de justice la question préjudicielle suivante : le titulaire d’une marque déchu de ses droits à l’expiration du délai de cinq ans à compter de son enregistrement pour ne pas avoir fait de cette marque un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle avait été enregistrée conserve-t-il le droit de réclamer l’indemnisation du préjudice subi en raison de l’usage, par un tiers, antérieurement à la date d’effet de la déchéance, d’un signe similaire pour des produits ou des services identiques ou similaires prêtant à confusion avec sa marque ?

La Cour de justice précise que le législateur européen a laissé toute latitude au législateur national pour déterminer la date à laquelle la déchéance d’une marque pouvait produire ses effets. Elle note que le législateur français a fait le choix de faire produire les effets de la déchéance d’une marque pour non-usage à compter de l’expiration d’un délai de cinq ans suivant son enregistrement (art. L. 714-5, al. 1er, du code de la propriété intellectuelle). Le titulaire peut se prévaloir, après l’expiration du délai de grâce, des atteintes portées, au cours de ce délai, au droit exclusif conféré par cette marque, même si ce titulaire a été déchu de ses droits sur celle-ci. Toutefois, cette absence d’exploitation, si elle n’est pas contraire à l’action en contrefaçon, pourra certainement jouer dans la décision relative à la réparation du préjudice subi. En effet, la Cour de justice ajoute que « si l’absence d’usage d’une marque ne fait pas obstacle, par elle-même, à une indemnisation liée à la commission de faits de contrefaçon, cette circonstance n’en demeure pas moins un élément important à prendre en compte pour déterminer l’existence et, le cas échéant, l’étendue du préjudice subi par le titulaire et, partant, le montant des dommages et intérêts que celui-ci peut éventuellement réclamer ».

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