CJUE, gde ch., 3 sept. 2014, aff. C-201/13

La Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, livre une décision riche d’enseignements sur une notion classique du droit d’auteur, l’exception de parodie.

En France, son fondement repose sur l’article L. 122-5, 4°, du code de la propriété intellectuelle et, au niveau européen, sur l’article 5, 3, k), de la directive n° 2001/29 du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. Les textes national ou européen ne font que citer la parodie comme une exception du droit d’auteur, à l’instar de la caricature ou du pastiche, sans en donner de définition et sans en préciser la portée. La jurisprudence française, dès le début du XXe siècle, s’est intéressée à la parodie. En premier lieu, il a été énoncé que la poursuite d’une intention humoristique était nécessaire. Il a ensuite été précisé que la parodie pouvait concerner tous types d’œuvres : littéraires, artistiques, musicales… Et la Cour de cassation a ajouté qu’il était dans les lois du genre de la parodie de permettre l’identification immédiate de l’œuvre parodiée mais qu’elle devait s’en différencier pour éviter tout risque de confusion. Enfin, il a été précisé que la parodie ne devait pas nuire à autrui. Mais il manquait à ce vaste édifice jurisprudentiel, les fondations, l’arrêt de principe. La Cour de justice de l’Union européenne apporte sa pierre qui, même si elle arrive a posteriori, permet de sceller la construction.

La question préjudicielle posée par la juridiction belge à la Cour de justice à l’occasion de la parodie d’une bande dessinée était rédigée en forme d’entonnoir afin de délimiter avec le plus de précisions possibles l’exception de parodie. Premièrement, l’exception de parodie est-elle une notion autonome ? Puis, dans l’affirmative, doit-elle remplir les conditions suivantes : être originale, ne pas être raisonnablement attribuée à l’auteur de l’œuvre originale, viser à faire de l’humour ou railler et mentionner la source de l’œuvre parodiée. Enfin, laissant la porte ouverte, la juridiction belge demande si une œuvre doit encore remplir d’autres conditions ou répondre à d’autres caractéristiques pour pouvoir être qualifiée de parodie.

Oui, la notion de « parodie » constitue une notion autonome du droit de l’Union, répond la Cour de justice. Et de poursuivre par une définition plus complète : « la notion de parodie a pour caractéristiques essentielles, d’une part, d’évoquer une œuvre existante, tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci, et, d’autre part, de constituer une manifestation d’humour ou une raillerie ». En revanche, la Cour n’entend pas apporter d’autres limitations à la qualification de parodie. En effet, la parodie ne doit pas présenter un caractère original propre, autre que celui de présenter des différences perceptibles par rapport à l’œuvre originale parodiée, ni ne doit pouvoir raisonnablement être attribuée à une personne autre que l’auteur de l’œuvre originale lui-même, ou porter sur l’œuvre originale elle-même ou encore mentionner la source de l’œuvre parodiée. La voie la plus large semblait donc ouverte. Toutefois, la Cour rappelle et c’est souvent le cas en matière d’exception au droit d’auteur, que la parodie doit respecter un juste équilibre entre, d’une part, les intérêts et les droits des auteurs et, d’autre part, la liberté d’expression de l’utilisateur d’une œuvre protégée se prévalant de l’exception pour parodie. Finalement, toutes les questions avaient été résolues par la jurisprudence française. Sans pour autant être réunies en une seule et même décision. Voilà chose faite à un niveau supranational.

En l’espèce, et pour mieux comprendre l’enjeu, la parodie représentait l’un des personnages d’une bande-dessinée reproduit sous les traits d’une personnalité politique. Dans la mise en scène d’origine, le personnage revêtu d’une tunique blanche jetait des pièces de monnaie à des personnes essayant de les ramasser. Dans le dessin modifié, au-delà du personnage principal changé, les personnes ramassant les pièces de monnaie ont été remplacées par des personnes voilées et de couleur. Selon les auteurs des originaux, ce dessin a pour objectif de transmettre un message discriminatoire, raison pour laquelle ils entendaient s’opposer à l’exception de parodie. Les juges du fond devront donc, au regard des circonstances, apprécier si les dessins litigieux peuvent être qualifiés de parodie et si le juste équilibre entre le droit d’auteur et la liberté d’expression est garanti.

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