Soc. 10 oct. 2012, FS-P+B, n° 11-15.296 - Soc. 10 oct. 2012, FS-P+B, n° 10-18.672

Le contrat de travail peut prévoir l’attribution d’une prime laissée à la libre appréciation de l’employeur sans qu’il s’agisse d’une inégalité de traitement. Il convient d’écarter du champ de la comparaison à effectuer l’indemnité de précarité qui compense pour le salarié la situation dans laquelle il est placé du fait de son contrat à durée déterminée.

1. Dans la première espèce (pourvoi n° 11-15.296), un salarié engagé en qualité de sales trader en vertu d’un contrat prévoyant une rémunération brute de base à laquelle s’ajoutait un bonus « discrétionnaire », ayant sollicité vainement de connaître les modalités de calcul du bonus, a pris acte de la rupture de son contrat puis a saisi la juridiction prud’homale pour qu’il soit jugé que les modalités du bonus discrétionnaire étaient illicites. La chambre sociale estime que la cour d’appel a justement rejeté sa demande.

En premier lieu, la Cour de cassation estime que le juge du fond a retenu à bon droit que le contrat de travail pouvait prévoir, en plus de la rémunération fixe, l’attribution d’une prime laissée à la libre appréciation de l’employeur. La formulation pourrait paraître surprenante car la chambre sociale condamne le caractère discrétionnaire des avantages. Ainsi, un employeur ne peut arguer de son pouvoir discrétionnaire pour se soustraire à son obligation de justifier de façon objective et pertinente une différence de rémunération. En revanche, l’employeur demeure « libre de mettre en place tel ou tel bonus, mais à condition que tous les salariés placés dans une même situation puissent également en bénéficier ». Ce que la Cour condamne, ce n’est pas la libre appréciation de l’employeur quant à sa décision de verser une prime et donc le caractère facultatif ou volontaire de son versement mais l’arbitraire quant aux choix des bénéficiaires ou au montant individuellement distribué, comme le démontre le présent arrêt.

En second lieu, elle souligne en effet que le juge du fond a valablement rappelé que le caractère discrétionnaire d’une rémunération ne permettait pas à un employeur de traiter différemment des salariés placés dans une situation comparable au regard de l’avantage considéré, avant de constater par une appréciation souveraine des éléments de preuve soumis que le salarié n’occupait pas des fonctions de valeur égale à celles occupées par les salariés auxquels il se comparait. Enfin, rappelons que le salarié qui invoque une atteinte au principe « à travail égal salaire égal » doit soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération et la nécessité pour le salarié d’étayer sa demande peut s’avérer délicate par exemple lorsqu’il devra fournir le chiffre d’affaires réalisé par les salariés auxquels il entend se comparer. Mais, si le principe « à travail égal salaire égal » s’applique également en cas de travail de « valeur égale » en application de l’article L. 3221-4 du code du travail, encore faut-il se trouver dans ce cas de figure. Selon ce texte, « sont considérés comme ayant une valeur égale les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse ». En l’espèce, le salarié n’occupait pas des fonctions de valeur égale à celles occupées par les salariés auxquels il se comparait, il semble que les fonctions n’étaient comparables que pour 50 % de l’activité. L’atteinte au principe ne pouvait donc pas être établie.

2. Dans la seconde affaire (2nde esp., pourvoi n° 10-18.672), un salarié a saisi la juridiction prud’homale aux fins d’obtenir une indemnité pour non-respect du principe « à travail égal, salaire égal », en faisant état de la rémunération supérieure à la sienne perçue par un autre salarié, recruté sous contrat à durée déterminée avec une classification inférieure. Débouté par la cour d’appel, il forme un pourvoi qui est ici rejeté. La chambre sociale indique, en premier lieu, que, contrairement à ce qu’il affirme, la cour d’appel ne s’est pas placée sur le terrain de la différence de régime juridique entre CDI et CDD mais sur celui de l’existence d’une différence de traitement au regard de la rémunération respective du demandeur et du salarié auquel il se comparait. La Cour indique, en second lieu, que la cour d’appel, après avoir écarté à bon droit du champ de la comparaison à effectuer l’indemnité de précarité, qui compense pour le salarié la situation dans laquelle il est placé du fait de son contrat à durée déterminée, a constaté que le salarié en CDI avait en réalité perçu une rémunération supérieure à celle du salarié en CDD.

En l’espèce, le versement d’une rémunération plus importante au salarié en CDD résultait de l’existence de l’indemnité de précarité dont, nous dit la Cour, il ne faut pas tenir compte pour juger du respect de l’égalité de traitement. Or le salarié en CDI avait perçu une rémunération supérieure à celle versée au salarié en CDD hors indemnité de précarité. La cause du versement de l’indemnité se trouve dans la prise en compte de la situation de précarité du salarié et non dans l’exécution de sa prestation de travail qui seule est soumise au principe invoqué par l’auteur du pourvoi. L’indemnité de fin de contrat trouve généralement son unique source dans la loi (C. trav., art. L. 1243-8) mais l’on peut supposer que, s’il existe une indemnité de précarité de nature conventionnelle plus favorable, le régime ici exposé trouvera également à s’appliquer.

Enfin, rappelons que la Cour a déjà eu l’occasion de préciser qu’une différence de statut ne suffit pas, à elle seule, à caractériser une différence de situation susceptible de fonder une différence de rémunération entre des salariés, et que le juge doit rechercher concrètement l’existence de raisons objectives matériellement vérifiables. En revanche, la différence de rémunération peut compenser la précarité du statut ; ainsi, un salarié intermittent du spectacle, embauché sous CDD, peut bénéficier d’une majoration du salaire horaire car la Cour indique que, pour l’application du principe « à travail égal salaire égal », la rémunération d’un même emploi, à condition de ne pas être inférieure à celle d’un salarié occupant cet emploi sous contrat de travail à durée indéterminée, peut tenir compte de la situation juridique du salarié dans l’entreprise. On notera la différence de régime avec celui institué par le présent arrêt. Lorsque la précarité est compensée par une indemnité de fin de contrat, il convient de retirer cette somme de la rémunération globale avant d’effectuer la comparaison, alors que, lorsqu’il est tenu compte de la précarité de la situation au stade de la fixation du montant du salaire, la situation de précarité intervient en tant que justification de la différence observée.

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