Soc. 9 juill. 2014, FS-P+B, n° 12-20.864

Soc. 9 juill. 2014, FS-P+B, n° 10-18.341

Deux conventions collectives accordaient des avantages familiaux (congé et prime) aux salariés à l’occasion de leur mariage. L’autre forme d’union, le pacte civil de solidarité (PACS), ouverte aux partenaires de même sexe, ne permettait pas d’obtenir les mêmes avantages. S’estimant discriminés, deux salariés ont saisi la juridiction prud’homale. En effet, leur homosexualité ne leur permettant pas, jusqu’à très récemment, de se marier avec la personne de leur choix, ils ne pouvaient pas bénéficier des avantages octroyés par leur employeur tant que le mariage restait défini comme l’union d’un homme et d’une femme. Mais le conseil de prud’hommes, puis la cour d’appel ont tous deux estimé qu’il ne pouvait y avoir de discrimination : les couples homosexuels et hétérosexuels ne se trouvant pas dans la même situation, leur traitement ne saurait être comparé.

Sur cette question, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) laisse aux États parties à la Convention « une marge d’appréciation pour choisir le rythme d’adoption des réformes législatives », tant qu’il n’existera pas de consensus tendant à la reconnaissance juridique des couples homosexuels dans la majorité de ces États.

Si l’exclusion des couples homosexuels de l’institution du mariage n’a donc pu être remise en cause pour le moment devant les cours suprêmes, ces couples se trouvant dans une situation « différente » au regard de l’institution du mariage, il en va autrement lorsqu’il est question d’avantages octroyés par un employeur à ses salariés. La question de savoir si le bénéfice d’avantages familiaux peut être limité aux seuls salariés « mariés » est donc légitime.

Cette affaire a donné lieu à deux saisines et recommandations de la Haute autorité de lutte contre la discrimination et pour l’égalité (HALDE), le 11 février 2008 et le 28 septembre 2009. À deux reprises, elle a considéré que, pour le bénéfice d’avantages familiaux, les couples mariés et les couples pacsés (hétérosexuels comme homosexuels) se trouvent dans des situations comparables. L’exclusion des couples pacsés devait donc s’entendre comme une discrimination en raison de la situation de famille et comme une discrimination en raison de l’orientation sexuelle.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 23 mai 2012, a choisi de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) : « L’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive [2000/78] doit-il être interprété en ce sens que le choix du législateur national de réserver la conclusion d’un mariage aux personnes de sexe différent peut constituer un objectif légitime, approprié et nécessaire justifiant la discrimination indirecte résultant du fait qu’une convention collective, en réservant un avantage en matière de rémunération et de conditions de travail aux salariés contractant un mariage, exclut nécessairement du bénéfice de cet avantage les partenaires de même sexe ayant conclu un [PACS] ? ».

Dans une décision du 12 décembre 2013, la CJUE va, dans un premier temps, reformuler cette question de manière plus large. Elle estime qu’« il convient d’examiner la question de savoir si une convention collective nationale, [en vertu de laquelle un travailleur salarié qui conclut un PACS avec une personne de même sexe est exclu du droit d’obtenir des avantages, tels que des jours de congés spéciaux et une prime salariale, octroyés aux travailleurs salariés à l’occasion de leur mariage], comporte une discrimination directe ou indirecte au sens de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2000/78 [lorsque la réglementation nationale de l’État membre concerné ne permet pas aux personnes de même sexe de se marier] ».

La CJUE, contrairement à la position adoptée par la HALDE, ne fait pas le choix de considérer cette différence de traitement entre les salariés mariés et les salariés pacsés comme étant une discrimination directe en raison de la situation de famille et une discrimination indirecte au regard de l’orientation sexuelle. En effet, elle estime qu’« une différence de traitement fondée sur l’état de mariage des travailleurs et non expressément sur leur orientation sexuelle reste une discrimination directe, dès lors que, le mariage étant réservé aux personnes de sexe différent, les travailleurs homosexuels sont dans l’impossibilité de remplir la condition nécessaire pour obtenir l’avantage revendiqué » (§ 44).

La CJUE semble par là même considérer que, si la « pratique apparemment neutre » a pour effet de traiter moins favorablement la totalité des personnes d’une catégorie, alors la discrimination n’est pas indirecte mais directe. La Cour de justice entend donc ici la notion de discrimination directe de manière large, englobant ainsi l’hypothèse d’une pratique qui, intrinsèquement, exclurait l’ensemble d’une catégorie de personnes identifiée par un motif discriminatoire, alors que, classiquement, la discrimination directe se définit par le traitement moins favorable motivé par un motif discriminatoire. La Cour pose l’utilisation du critère de l’état de mariage comme étant une utilisation implicite de celui de l’orientation sexuelle : la discrimination, quoique implicite, « reste » donc directe. Appliquée aux faits de l’espèce, cette nuance est toutefois problématique puisque le groupe des « personnes non mariées » n’est pas constitué exclusivement de personnes homosexuelles. Ce critère ne recoupe donc pas exactement la même réalité sociologique...

Par deux arrêts du 9 juillet 2014 (dont l’un a donné lieu à la question préjudicielle posée à la CJUE), la chambre sociale reprend en tout point la solution dégagée par la CJUE et considère que « les salariés qui concluaient un pacte civil de solidarité avec un partenaire de même sexe se trouvaient, avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, dans une situation identique aux regards des avantages en cause à celle des salariés contractant un mariage et que les dispositions litigieuses du statut national du personnel des industries électriques et gazières instauraient dès lors une discrimination directement fondée sur l’orientation sexuelle, ce dont il résultait que leur application devait être en l’espèce écartée ».

Avec l’avènement du « mariage pour tous », cette solution ne saurait s’appliquer pour l’avenir puisque les personnes auront toutes la possibilité de se marier et donc de demander à bénéficier des avantages en matière de congés et de primes. Cependant, la question de l’existence d’une discrimination directe en raison de la situation familiale reste pour l’heure en suspens.

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