Civ. 2e, 20 sept. 2012, F-P+B, n° 11-22.137

La différence entre les apprentis et les autres salariés est fondée sur une différence de qualification, en cours d’acquisition pour les uns et déjà obtenue pour les autres. Le critère de l’ancienneté est nécessairement différent de celui de la durée de présence des salariés dans l’entreprise, ce dernier pouvant s’apprécier au regard de leur temps de travail complet ou partiel.

L’article 17 de la loi n° 2005-1579 du 19 décembre 2005 de financement de la sécurité sociale pour 2006 prévoit la possibilité de verser à chaque salarié, avant le 31 juillet 2006, une prime pouvant aller jusqu’à 1 000 €, parfois appelée « bonus exceptionnel Villepin ». Cette somme est exonérée de toutes cotisations et contributions d’origine légale ou conventionnelle, à l’exception de la CSG et de la CRDS (art. 17, al. 3). Les conditions d’attribution énoncées par la loi doivent être respectées pour bénéficier de ces exonérations (art. 17, dernier alinéa). Le dispositif est ainsi réservé aux entreprises ou établissements couverts par un accord collectif de branche, d’entreprise ou d’établissement portant sur les salaires, conclu entre le 1er janvier 2005 et le 15 juin 2006 et applicable en 2006. Le bonus doit par ailleurs être exceptionnel et ne se substituer à aucun élément de rémunération. Le deuxième alinéa de l’article 17 précise également que « le montant de ce bonus exceptionnel peut être modulé selon les salariés ; cette modulation ne peut s’effectuer qu’en fonction du salaire, de la qualification, du niveau de classification, de l’ancienneté ou de la durée de présence dans l’entreprise du salarié ».

On peut observer que ce dispositif emprunte une partie de son régime aux dispositifs d’épargne salariale. Par exemple, bonus exceptionnel et épargne salariale (intéressement, participation, plan d’épargne d’entreprise) sont des mécanismes à caractère collectif, c’est-à-dire qu’ils doivent concerner tous les salariés. On note également que certains critères de modulation (ou de répartition selon le terme employé dans le cadre de l’épargne salariale) des sommes sont communs. L’accord salarial exigé pour le versement du bonus exonéré peut être conclu selon les mêmes modalités qu’un accord d’intéressement (art. 17, al. 4). Enfin, la sanction du non-respect des conditions énoncées par la loi est la même : il y a réintégration des sommes dans la base de calcul des cotisations sociales.

En l’espèce, l’URSSAF de la Savoie a réintégré dans l’assiette des cotisations sociales le montant du bonus exceptionnel versé aux salariés d’une entreprise en raison d’une application qu’elle considère erronée de l’article 17. La cour d’appel a favorablement accueilli le recours de l’employeur et la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’URSSAF.

La première question posée porte sur le fait de savoir s’il est possible de moduler le montant du bonus en raison de la seule qualité d’apprenti, ces derniers n’ayant perçu que 50 % du montant du bonus attribué aux autres salariés. Les apprentis ne peuvent être exclus du dispositif en raison du caractère collectif de ce dernier (art. 17, al. 1er), à l’instar de ce qui se produit en matière d’épargne salariale et des dispositions de l’article L. 6222-23 du code du travail (« L’apprenti bénéficie des dispositions applicables à l’ensemble des salariés dans la mesure où elles ne sont pas contraires à celles qui sont liées à sa situation de jeune travailleur en formation »). C’est l’existence d’un contrat de travail qui octroie la qualité de bénéficiaire (d’où l’exclusion pour cette même raison des stagiaires du bénéfice de l’intéressement, Soc. 27 juin 2000, préc.) Mais les critères de répartition de l’intéressement ou de la participation, répartition qui s’apparente ici à la modulation du bonus, diffèrent de ceux prévus par l’article 17 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006. En matière d’intéressement et de participation, la répartition peut être uniforme, proportionnelle au salaire, proportionnelle à la durée de présence ou utiliser conjointement plusieurs de ces critères (C. trav., art. L. 3324-5, al. 2, pour la participation ; C. trav., art. L. 3314-5, al. 1er, pour l’intéressement). En ce qui concerne le bonus exceptionnel, d’autres critères peuvent être retenus comme la qualification, le niveau de classification ou l’ancienneté. La chambre sociale approuve ici la décision du juge du fond en ce qu’il a considéré que le critère concernant la qualification permet une distinction entre les apprentis dont la qualification est « en cours d’acquisition » et les autres salariés qui l’ont déjà obtenue. On ne peut qu’approuver la solution qui ne fait qu’une stricte application de la loi.

La seconde question porte sur le fait de savoir si le critère de l’ancienneté est différent de celui de la durée de présence des salariés dans l’entreprise, et si ce dernier peut permettre de moduler le bonus en prenant en compte le travail à temps partiel. Signalons tout d’abord que le critère de l’ancienneté peut intervenir en matière d’épargne salariale pour exclure certains salariés du bénéfice de ces mécanismes. En effet, une condition d’ancienneté minimale peut être prévue, mais elle ne peut excéder trois mois (C. trav., L. 3342-1, al. 2). En revanche aucune condition d’ancienneté ne peut être opposée aux salariés pour les exclure du bénéfice du bonus exceptionnel. Le versement d’un bonus exceptionnel se distingue donc de l’épargne salariale sur ce point. Mais les deux mécanismes se rejoignent quant à la possibilité de moduler le montant attribué au salarié en fonction de la durée de présence des salariés dans l’entreprise, qui ne peut être confondue avec l’ancienneté critère préalablement mentionné (art. 17, al. 2, loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 ; C. trav., art. L. 3324-5, al. 2, pour la participation ; C. trav., art. L. 3314-5, al. 1er, pour l’intéressement). En matière d’épargne salariale, la durée de présence des salariés dans l’entreprise implique nécessairement, selon l’Administration, « une prise en compte différenciée du temps partiel et du temps complet » (V. en ce sens, Circ. n° SOCX0508715C, 14 sept. 2005 relative à l’épargne salariale).

De manière surprenante, l’administration a interprété de façon différente le sens à accorder à la référence faite à la durée de présence par le deuxième alinéa de l’article 17, précité. Ainsi la circulaire N° DSS/5B/DRT/2006/07 du 5 janvier 2006 relative au bonus exceptionnel énonce que « la loi ne prévoit pas la possibilité de moduler ce bonus en fonction de la durée du travail et notamment en prenant en compte le temps partiel ». C’est cette interprétation visiblement erronée qui a été retenue par l’URSSAF de la Savoie. La Cour de cassation vient fort logiquement la sanctionner.

Signalons que la loi n° 2008-111 du 8 février 2008 dite « pour le pouvoir d’achat » instaure un dispositif semblable car son article 7 prévoit la possibilité de verser une prime pouvant aller jusqu’à 1 000 € à l’ensemble des salariés de l’entreprise. Le deuxième alinéa de cet article dispose que le « montant de cette prime exceptionnelle peut être modulé selon les salariés ». La modulation doit être définie par accord et ne peut « s’effectuer qu’en fonction du salaire, de la qualification, du niveau de classification, de la durée du travail, de l’ancienneté ou de la durée de présence du salarié dans l’entreprise ». Le législateur prend ici le soin de viser la durée du travail en tant que critère de modulation, ce qui lève toute hésitation en la matière.

En raison de cette prise en compte à part entière de la durée du travail au sein de cette énumération de critères, la définition de la « durée de présence du salarié dans l’entreprise » ne correspond plus à celle retenue en matière d’épargne salariale et du bonus exceptionnel Villepin. Dans ces mécanismes elle correspond à la durée effective de travail qui permet de prendre en compte le temps partiel mais aussi les absences non assimilées à du temps de présence du salarié, alors que dans la loi pour le pouvoir d’achat ce critère renvoie seulement à la possibilité de moduler le montant de la prime en fonction de certaines absences du salarié. Mais, si certaines périodes sont légalement assimilées à du temps de présence et rémunérées comme tel (congés annuels, heures de délégation…), à la différence des textes relatifs à l’épargne salariale qui assimilent expressément certaines absences à des durées de présence du salarié dans l’entreprise (C. trav., art. L. 3314-5 pour l’intéressement ; C. trav., art. L. 3324-6 pour la participation, bénéficient de cette assimilation légale : le congé de maternité prévu à l’art. L. 1225-17 c. trav., le congé d’adoption prévu à l’art. L. 1225-37 c. trav., les périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle en application de l’art. L. 1226-7 c. trav.), l’article 7 de la loi pour le pouvoir d’achat est muet sur cette question tout comme l’était l’article 17 de la loi n° 2005-1579 du 19 décembre 2005. Toutes les incertitudes, sources de contentieux, ne sont donc pas levées.

Notons enfin que plus habilement, dès lors que l’on souhaite limiter les inéluctables difficultés d’interprétation de lois rédigées de façon imprécise, l’article 1-IV de la loi n° 2011-894 du 28 juillet 2011 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2011, qui institue la « prime de partage des profits » encore appelée « prime contre dividende », retient comme critères de modulation de cette prime ceux retenus en matière de répartition de la réserve spéciale de participation (C. trav., art. L. 3324-5). Les possibilités de modulation sont ainsi moins nombreuses, comme rappelé précédemment, mais l’ancienneté du dispositif assure en principe une meilleure maîtrise des mécanismes de la part des différents intervenants.

Auteur : Éditions Dalloz - Tous droits réservés.