Soc. 14 nov. 2013, FS-P+B, n° 12-16.805

Selon l’article L. 3244-1 du code du travail, « dans tous les établissements commerciaux où existe la pratique du pourboire, toutes les perceptions faites “pour le service” par l’employeur sous forme de pourcentage obligatoirement ajouté aux notes des clients ou autrement, ainsi que toutes sommes remises volontairement par les clients pour le service entre les mains de l’employeur, ou centralisées par lui, sont intégralement versées au personnel en contact avec la clientèle et à qui celle-ci avait coutume de les remettre directement ». L’article R. 3244-2 du même code, quant à lui, renvoie aux conventions collectives ou, à défaut, aux décrets en Conseil d’Etat, le soin de déterminer selon les professions et les secteurs géographiques, les catégories de personnel qui prennent part à la répartition des pourboires ainsi que les modalités de cette répartition.

L’arrêt du 14 novembre 2013 permet de (re)faire le point sur les principes applicables à la pratique des pourboires.

Était question, en l’espèce, de la répartition des pourboires effectué par la société Buffalo Grill dans l’ensemble de ses restaurants. En effet, la rémunération du personnel en salle est fixée sur la base d’un pourcentage du chiffre d’affaires service compris, soit 11,504 % répartis entre les serveurs (7,07 %), les managers (2,185 %), les assistants (1,748 %), les directeurs régionaux (0,5 % sur chaque restaurant dont ils ont la charge).

La société Buffalo Grill fait grief à l’arrêt de dire que « l’article L. 3244-1 du code du travail lui est opposable et applicable, de dire que les directeurs régionaux ne sont pas en contact avec la clientèle et ne peuvent de ce fait percevoir une part en pourcentage de pourboires ». Elle se pourvoit en cassation.

La première branche de son moyen consiste à rappeler que l’article L. 3244-1 du code du travail n’est pas applicable, en l’espèce, dans la mesure où il n’existe aucune convention collective et aucun décret en Conseil d’État encadrant la répartition des pourboires.

La Cour de cassation rappelle que l’article L. 3244-1 est d’ordre public et « n’est pas subordonné à l’existence de stipulations conventionnelles ou d’un décret fixant les catégories de bénéficiaires et les modalités de la répartition », solution dégagée de longue date.

La société conteste, ensuite, l’existence de « pourboires » tels que définis par l’article L. 3244-1. Ellene reconnaît pas « avoir prélevé un quelconque pourcentage du chiffre d’affaires du restaurant au titre du service et l’avoir ensuite réparti entre les divers salariés en contact avec la clientèle ». Elle admettait, uniquement, avoir rémunéré « certains salariés par un fixe, rémunérer les serveurs par un pourcentage de 7,07 % ou de 7,96 % sur leur chiffre d’affaires personnel et rémunérer les directeurs régionaux par un pourcentage de 0,5 % sur le chiffre d’affaires des restaurants qu’ils géraient ».

La Cour de cassation conforte, également, sur ce point la cour d’appel de Douai « qui n’avait pas à entrer dans le détail de l’argumentation des parties, [et] a constaté que la société Buffalo Grill ajoutait à la note des clients un pourcentage au titre du service ».

La CGT a obtenu en appel des dommages et intérêts conséquents en raison du détournement d’une partie des pourboires au profit d’une catégorie de personnel, en l’espèce les directeurs régionaux, qui ne sont pas en contact avec la clientèle. La société conteste cette décision et démontre au contraire que les directeurs régionaux peuvent être amenés à assurer le service en cas d’absence d’un salarié ou lors des périodes de fortes affluences. Elle rappelle que l’article L. 3244-1 « n’exige pas que l’activité mettant le salarié en contact avec la clientèle soit prépondérante par rapport à ses autres activités ou en constitue l’essentiel ».

En l’absence de convention ou de disposition spéciale, c’est la jurisprudence qui précise ce qu’est « le personnel en contact avec la clientèle ». Il en va ainsi des garçons et maîtres d’hôtel, des croupiers de casino, ainsi que l’ensemble des personnels des services périphériques (portier, agent de sécurité, voiturier, chasseur, standardiste, hôte - hôtesse d’accueil, employé de vestiaire, premier maître d’hôtel, maître d’hôtel, chef barman, chef de rang, demi-chef de rang, commis, sommelier, serveur) par l’application du principe « à travail égal, salaire égal ».

L’arrêt du 14 novembre 2013 ajoute donc une nouvelle catégorie de personnel qui doit être exclue de la répartition des pourboires : les directeurs régionaux des chaînes de restauration au motif que « la mission principale des directeurs régionaux consistait dans l’encadrement et le contrôle des établissements et que les fonctions de service, limitées aux hypothèses de remplacement d’un salarié absent, n’étaient qu’accessoires ». Les « intéressés n’étaient [donc] pas habituellement en contact avec la clientèle ».

La Cour de cassation ne répond pas à l’argument de la société selon lequel l’article L. 3244-1 n’exige pas que le contact avec la clientèle soit « habituel ». En revanche, cet article exige que les sommes soient « intégralement versées au personnel en contact avec la clientèle et à qui [la clientèle] avait coutume de les remettre directement ». L’apparence de serveur que les directeurs régionaux peuvent occasionnellement emprunter ne saurait donc leur permettre d’intégrer durablement la liste des bénéficiaires de la répartition des pourboires. 

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