Soc. 26 nov. 2013, FS-P+B, nos 12-21.758 et 12-22.200

Soc. 26 nov. 2013, FS-P+B, n° 12-24.690

Soc. 26 nov. 2013, FS-P+B, n° 12-22.208

À l’occasion de trois décisions du 26 novembre 2011, les juges viennent clarifier la frontière entre mise à la retraite et discrimination fondée sur l’âge.

Dans les deux premières espèces (pourvois nos 12-22.690 et 12-21.758), le juge se trouve face à deux mises à la retraite contestées par les salariés sur le fondement d’une discrimination en raison de l’âge.

Dans la première hypothèse, le salarié a été mis à la retraite à 61 ans, donc quatre ans avant l’âge légal du taux plein, mais il avait cependant acquis l’ensemble des trimestres de cotisation lui permettant d’accéder à une retraite à taux plein. Il a contesté la mise à la retraite qu’il jugeait discriminatoire et a donc demandé au conseil de prud’hommes la nullité de la mise à la retraite. La cour d’appel a rejeté sa demande au motif qu’une différence de traitement fondée sur l’âge peut être objectivement et raisonnablement justifiée par l’employeur. Il forme donc un pourvoi que la Cour rejette au motif que la directive 2000/78/CE autorise les États membres à prévoir dans leur législation des différences de traitement fondées sur l’âge à condition qu’elles poursuivent un objectif légitime (politique de l’emploi, insertion dans le marché du travail, formation professionnelle) et usent de moyens nécessaires et proportionnés.

Or, en l’espèce, la cour d’appel avait constaté qu’il existait une contrepartie à la mise à la retraite du salarié, à savoir la signature de plusieurs contrats de professionnalisation au sein de l’entreprise.

À l’inverse, dans la seconde espèce (pourvoi n° 12-21.758), le salarié a été mis à la retraite par son employeur à l’âge de 65 ans. Cependant, l’employeur n’a pas justifié la mise à la retraite par un objectif légitime, il a seulement respecté la procédure prévue par l’article L. 1237-5 du code du travail. La cour d’appel a estimé qu’en l’absence de justification de la part de l’employeur, la mise à la retraite devait être requalifiée en licenciement nul.

Cependant, la Cour de cassation, au visa des articles L. 1237-5, L. 1132-1 et L. 1132-4 du code du travail et l’article 6, § 1, de la directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000, estime qu’au regard de ce dernier texte, « des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires ». Elle considère donc que « les dispositions du code du travail relatives à la mise à la retraite […] satisfont aux exigences de la directive » dans la mesure où elles mettent en œuvre « un objectif de politique sociale », à savoir « le droit pour chacun d’obtenir un emploi tout en permettant l’exercice de ce droit par le plus grand nombre » et subordonnent « la mise à la retraite à la condition que le salarié bénéficie d’une pension à taux plein ». Elle en déduit donc qu’« il ne peut être imposé à l’employeur de justifier » que la mise en œuvre de ces dispositions « à l’égard d’un salarié qui remplit les conditions légales d’une mise à la retraite répond[e] aux objectifs poursuivis ».

Il était déjà admis qu’en cas de mise à la retraite d’un salarié de moins de 65 ans, le juge doit contrôler si cette dernière n’est pas discriminatoire et applique pour cela le principe général du droit de l’Union européenne consacré par la directive du 27 novembre 2000 dans son article 6, § 1. En revanche, le juge n’avait encore jamais précisé que le respect de la procédure légale de mise à la retraite pour un salarié ayant atteint l’âge pour une retraite à taux plein devait être présumé poursuivre un objectif légitime au sens de la directive 2000/78.

Enfin, la troisième espèce (pourvoi n° 12-22.208) porte sur le champ d’application de la directive 2000/78 et, plus largement, sur l’application du principe de non-discrimination en raison de l’âge. De l’applicabilité de ces règles découle la possibilité pour le juge de requalifier une mise à la retraite en licenciement discriminatoire et donc nul. La question qui se posait était donc de savoir si une mise à la retraite pouvait être requalifiée en licenciement nul par un tribunal de Polynésie française devant lequel la directive 2000/78 ne peut être invoquée, ainsi que l’article L.1132-1 du code du travail.

La Cour de cassation rejette le pourvoi de ce salarié ayant été mis à la retraite à l’âge de 62 ans alors qu’il ne pouvait pas encore bénéficier d’une retraite à taux plein et dont la mise à la retraite a été requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse par la cour d’appel de Papeete. Elle valide donc le raisonnement de cette cour au motif, d’une part, que la non-conformité d’une norme de nature législative ne peut être invoquée utilement devant le juge (hors la procédure question prioritaire de constitutionnalité), et, d’autre part, que « l’article 2 de la décision 2001/822/CE du Conseil du 27 novembre 2001 relative à l’association des pays et territoires d’outre-mer à la Communauté européenne ne rend applicable le principe de non-discrimination en raison de l’âge que dans les domaines de coopération visés par la décision ». Or, « en l’absence d’acte du Conseil relatif à la coopération avec les pays et territoires d’outre-mer en matière de droit du travail, ce principe n’est pas applicable » et donc « il résulte de l’article 10 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations que la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 n’est pas applicable en Polynésie française ».

Si, en l’espèce, la mise à la retraite ne respectait pas les dispositions du Code du travail encadrant son recours, la sanction ne peut être qu’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et non un licenciement nul.

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