Soc. 15 mai 2013, FP-P+B, nos 11-26.784 à 11-26.930

 La prise d’acte de rupture du contrat de travail est caractérisée lorsqu’un salarié rompt son contrat de travail en raison de faits ou de manquements qu’il reproche à son employeur, reproches qui doivent justifier la rupture. Son régime juridique a été posé par les arrêts de principe du 25 juin 2003. Ainsi, la prise d’acte de la rupture par le salarié peut avoir les mêmes effets qu’un licenciement sans cause réelle et sérieuse dans la mesure où la décision de rompre était justifiée par des faits reprochés à l’employeur, dans le cas contraire, les effets sont ceux de la démission.

Pourtant, derrière l’apparente simplicité du mécanisme, demeure une interrogation majeure relative à la détermination du domaine d’application de cette règle prétorienne. En effet, quels sont les faits susceptibles de justifier une rupture aux torts de l’employeur ? La multiplication du contentieux a conduit inexorablement la Cour de cassation à affiner les contours respectifs de la prise d’acte, de la démission et du licenciement. Ainsi, à la lumière des nombreuses décisions rendues, outre les hypothèses où les reproches à l’employeur reposeraient sur la violation d’une obligation législative, réglementaire ou conventionnelle, la prise d’acte peut être fondée sur un manquement contractuel.

Par le présent arrêt, la Cour poursuit son œuvre au sujet du départ à la retraite d’un salarié reprochant à son employeur certains faits, notamment la modification unilatérale de son contrat de travail par la réduction du montant de ses avances sur commission. L’analyse des faits est essentielle dans le règlement de ce type de contentieux.

Il s’agissait, en l’espèce, d’un salarié VRP, qui a notifié à son employeur son départ à la retraite par une lettre énonçant des griefs envers ce dernier, notamment une modification unilatérale des taux de commissions sur les trois dernières années. À la suite de son départ de l’entreprise, il saisit le conseil de prud’hommes aux fins de requalifier ce départ en une prise d’acte de la rupture du contrat du fait de l’employeur, produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. À l’appui de ses prétentions, le salarié rapportait que son départ à la retraite était le résultat de divers manquements de l’employeur, notamment la modification unilatérale de son contrat de travail par la réduction du montant des avances sur commissions, qui lui étaient jusque-là consenties. Par ailleurs, la lettre énonçant son départ à la retraite listait toute une série de manquements. Les juges du fond retiennent le caractère équivoque du départ à la retraite en raison des manquements graves reprochés à l’employeur.

L’employeur forme alors un pourvoi en cassation dans lequel il soutient que le salarié avait clairement et sans équivoque exprimé sa volonté de partir, notamment par la remise d’un formulaire lui permettant de faire valoir ses droits à la retraite. Par ailleurs, il ajoute qu’il n’existe aucune incompatibilité de principe entre cette volonté et l’existence d’un différend entre l’employeur et le salarié antérieur ou concomitant au moment où le salarié exprime sa volonté de quitter l’entreprise au titre d’un départ à la retraite.

La question pertinente posée à la Cour était double. Il s’agissait, d’une part, de savoir si la volonté du salarié de partir à la retraite avait été exprimée de façon libre et éclairée et n’avait pas été justifiée par des manquements imputables à l’employeur et, d’autre part, si la réduction des taux de commissions jusqu’alors appliqués s’analysait en une modification unilatérale du contrat de travail.

C’est par un attendu pédagogique que la Cour rappelle, tout d’abord, que le départ à la retraite du salarié est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Elle retient, ensuite, que la modification imposée du contrat de travail fait produire à la prise d’acte les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans un premier temps, elle précise que, lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de son départ à la retraite, remet en cause celui-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de son départ qu’à la date à laquelle il a été décidé, celui-ci était équivoque, l’analyser en une prise d’acte de la rupture qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Par conséquent, elle considère que l’employeur qui a appliqué des réductions des taux de commissions, dans des conditions qui étaient de nature à faire obstacle à l’exécution de la mission du salarié, sans le consentement du salarié alors qu’il s’agissait d’une modification de son contrat de travail s’analysait nécessairement en une prise d’acte de la rupture qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La décision de la Cour doit être approuvée en ce sens qu’elle contribue à déterminer la nature des fautes de l’employeur qui justifient la rupture du contrat. Dans son attendu, la Cour précise que les manquements de l’employeur étaient de nature à faire obstacle à l’exécution de la mission du salarié. Ainsi, à la lecture fine de cet attendu, il ressort que la gravité des manquements de l’employeur détermine l’imputabilité. En d’autres termes, il est permis d’y voir le signe que la Cour de cassation entend retenir comme faits justifiant la rupture constatée par le salarié que les fautes suffisamment graves. La solution se situe dans le sillage d’un précédent arrêt dans lequel était affirmé, s’agissant de la modification unilatérale de la rémunération, que celle-ci est, quoi qu’il arrive, suffisamment grave pour produire à la prise d’acte les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. 

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