Soc. 15 janv. 2013, FS-P+B, n° 11-15.646

Le manque de loyauté lors de la procédure de mise à la retraite, caractérisé par un entretien précipité dont le salarié n’est pas informé préalablement de l’objet et d’un allongement de la durée de préavis dans le but d’éviter une loi modifiant la procédure de mise à la retraite, constitue une discrimination en raison de l’âge.

La mise à la retraite est un mécanisme permettant à l’employeur de résilier le contrat de travail en raison de l’âge du salarié. Elle est donc, par nature, discriminatoire. La loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 est venue, sous la pression du juge communautaire, encadrer beaucoup plus fortement cette résiliation en permettant au salarié de la refuser. Avant cette loi, il suffisait à l’employeur de s’assurer que le salarié pouvait bénéficier d’une pension de retraite à taux plein pour procéder à la mise à la retraite de son salarié. L’arrêt de la Cour de cassation du 15 janvier 2013 vient sanctionner des faits se déroulant entre la promulgation de cette loi et son entrée en application prévue pour le 1er janvier 2009.

En l’espèce, un salarié a été mis à la retraite par une décision du 24 décembre 2008 prenant effet au 28 avril 2009. L’entretien, nécessaire à la procédure de mise à la retraite prévue par l’article 34 de la convention collective, a été notifié au salarié la veille, sans autre indication qu’il sera question « des prochains mois à venir ». L’entretien du 19 décembre au matin n’aura pour objet que d’informer le salarié de la décision (déjà arrêtée) de l’employeur de procéder à sa mise à la retraite lorsqu’il atteindra ses 65 ans en avril 2009. La « précipitation » dans l’organisation de cet entretien contraste fortement avec l’allongement à quatre mois du délai conventionnel de préavis (fixé lui à 3 mois). Le juge d’appel, repris par la Cour de cassation, y voit une tentative d’évitement de l’application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 qui a considérablement encadré la procédure de mise à la retraite en permettant au salarié de refuser cette dernière jusqu’à ses soixante-dix ans.

La Cour de cassation rejette donc le pourvoi de l’employeur et valide la nullité du licenciement prononcée par la cour d’appel au motif que « l’employeur [a] manqué à l’obligation d’exécuter loyalement le contrat de travail et que la mise à la retraite constitu[e] une discrimination fondée sur l’âge ».

Les juges considèrent, en l’espèce, que l’absence d’information du salarié sur l’objet de l’entretien, la précipitation dans l’organisation de cet entretien et, enfin, l’allongement inhabituel et injustifié de la durée de préavis sont de nature à établir un manquement de l’employeur à son obligation d’exécuter loyalement le contrat de travail. Ce sont les juges de la cour d’appel qui déduisent de cette précipitation que l’employeur avait pour objectif d’éviter l’application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 et qui en font la raison de la déloyauté de l’employeur. Cette interprétation est validée par la Cour de cassation.

On peut regretter que le juge n’ait tenu aucun compte du recrutement d’un nouveau salarié en octobre 2008 et devant prendre ses fonctions au 1er avril 2009, soit un mois avant le départ à la retraite de l’autre salarié. La mise à la retraite semblait donc avoir été prévue de longue date, la procédure ayant été précipitée par l’apparition de la loi réformant la procédure de mise à la retraite, et non par l’âge du salarié. L’employeur a voulu profiter des derniers instants de la loi ancienne pour procéder à une mise à la retraite suivant des modalités moins contraignantes. Il semble donc que ce soit son opportunisme qui soit ici jugé discriminatoire et non une réelle volonté de discriminer.

Si l’on peut éventuellement admettre un non-respect de la forme de la rupture du contrat de travail, en ce qui concerne l’absence d’information sur l’objet de l’entretien et l’allongement inexpliquée de la durée du préavis, on peut difficilement y voir un acte discriminatoire en raison de l’âge. C’est donc l’opportunisme de l’employeur que la Cour juge discriminatoire. Un opportunisme qu’elle se garde bien de requalifier en fraude en se limitant au simple « manquement à l’obligation de loyauté ». Les juges semblent considérer que sans cette précipitation, l’employeur aurait été contraint de procéder à la mise à la retraite suivant les nouvelles conditions posées par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009. Des conditions qui en l’espèce n’auraient pas été remplies. Or le législateur a souhaité sécuriser la fin de carrière des salariés de soixante-cinq ans et plus, et l’employeur en précipitant la procédure de mise à la retraite a, quant à lui, souhaité contourner cette nouvelle protection. Par conséquent, le juge requalifie la mise à la retraite en licenciement nul du fait d’une discrimination en raison de l’âge comme si, finalement, les conditions de mise à la retraite n’avaient pas été remplies. 

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