CAA Versailles, 18 déc. 2012, req. n° 11VE02712 

La cour administrative d’appel de Versailles s’est prononcée, à l’occasion du licenciement d’un salarié protégé, sur la notion de caractère personnel d’un fichier informatique dont elle adopte une conception très extensive. 

En matière de fichiers informatiques, et, plus largement de protection de la vie privée du salarié, la Cour de cassation reconnaît à l’employeur le droit d’accéder librement aux fichiers informatiques créés par le salarié à l’aide de l’ordinateur mis à sa disposition pour l’exécution de son travail dès lors qu’ils n’ont pas été identifiés par l’intéressé comme étant personnels (V., réc. Soc. 23 mai 2012, n° 10-23.521). Toutefois, le fichier présumé illicite peut être ouvert, quand bien même il aurait été identifié comme personnel, hors de la présence du salarié ou sans que celui-ci ait été dûment appelé, en cas de risque ou d’évènement particulier (Soc. 17 juin 2009, n° 08-40.274).

En l’espèce, un salarié, protégé puisque membre du comité d’entreprise, engagé comme formateur par un institut, avait stocké sur son ordinateur professionnel un dossier, intitulé « Marc et Paul » (le salarié ne se prénommait ni l’un ni l’autre et n’avait, de ce fait, pas identifié ce dossier comme personnel), contenant des photos pornographiques dont certaines le mettaient en scène. L’ordinateur du salarié étant partagé, le dossier était accessible par d’autres formateurs et l’un deux a alerté sa direction. L’employeur, ayant pris connaissance du contenu de l’ordinateur du salarié, en l’absence de ce dernier, a sollicité auprès de l’inspection du travail, l’autorisation de le licencier en raison de la présence de photographies pornographiques, de l’utilisation de son adresse professionnelle pour répondre à des petites annonces et envoyer des images pornographiques, enfin pour l’exercice d’une seconde activité professionnelle. L’inspection du travail puis le ministre du travail ont refusé d’accorder cette autorisation de licenciement.

Le juge administratif rejette également les prétentions de l’employeur en estimant que le mode de preuve étant illicite, c’est à bon droit que l’administration a rejeté l’autorisation de licenciement. Pour autant, le raisonnement de la cour administrative d’appel est difficile à suivre. Si la décision a le mérite de rappeler le principe selon lequel « l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps de travail et que les fichiers créés par le salarié avec l’outil informatique mis à sa disposition par l’entreprise sont réputés professionnels, sauf si le salarié les a clairement identifiés comme personnels ; que dans ce dernier cas, et en l’absence de risque ou évènement particulier, l’employeur ne peut ouvrir les fichiers en l’absence du salarié », on se perd vite, faute d’éléments techniques, dans les circonvolutions de l’espèce.

En effet, le juge précise, tout d’abord, et quand bien même le salarié avait la charge de former des majeurs comme des mineurs, lesquels pouvaient avoir accès au contenu de l’ordinateur, qu’il n’y avait pas de « risque particulier » justifiant l’ouverture du fichier hors la présence du salarié. Ensuite, et surtout, le juge indique que le « fichier » (le dossier ?) n’avait pas été clairement identifié comme personnel mais que « l’affichage en mosaïque de ce fichier révélait toutefois des photographies miniatures suffisamment explicites pour que ce caractère personnel soit manifeste ». En clair, un employeur qui souhaiterait ouvrir un fichier, ou un répertoire contenant des fichiers, devrait, dans le cas où le fichier ou dossier ne serait pas identifié comme personnel, faire une prévisualisation du fichier ou du dossier et arrêter là sa consultation en cas de données « manifestement personnelles ». Outre qu’une telle manipulation ajouterait une condition supplémentaire de consultation, encore faudrait-il que le caractère « manifestement » personnel saute aux yeux. En l’occurrence, il est précisé que seulement certains des fichiers pornographiques mettaient en scène le salarié. D’une simple prévisualisation, l’employeur aurait donc dû identifier le formateur sur quelques clichés et en déduire qu’il devait le faire appeler avant de se constituer une preuve ? Ou bien alors faut-il considérer que les fichiers pornographiques sont, par nature, personnels ? L’argument peine à convaincre, surtout sur un poste dont il est clairement indiqué qu’il est partagé par plusieurs personnes, dont le contenu n’a pas été expressément identifié comme personnel, et dont l’accès – et de facto le stockage – est autorisé à quiconque.

Voilà qui va, quoi qu’il en soit, à rebours de la philosophie du juge judiciaire qui adopte, au contraire, une conception extrêmement restrictive du caractère personnel d’un fichier informatique. Notamment, tout récemment, la Cour de cassation a considéré qu’un fichier informatique intitulé « Mes documents » (quoi de plus personnel pourtant que le pronom possessif « mes » ?) n’est pas un fichier à caractère personnel, son ouverture par l’employeur ne constituant donc pas une atteinte à l’intimité de la vie privée. On notera qu’il s’agissait pourtant, comme en l’espèce, de fichiers pornographiques (V. Soc. 10 mai 2012, n° 11-13.884). La chambre sociale a, dans la même veine, précédemment jugé qu’un dossier identifié par les seules initiales du salarié (Soc. 21 oct. 2009, n° 07-43.877) ou par son prénom n’avait pas de caractère personnel (Soc. 8 déc. 2009, n° 08-44.840).

En attendant que le Conseil d’État se prononce, si d’aventure il était saisi, et s’aligne sur son homologue judiciaire ou, au contraire, valide la position de la cour administrative d’appel, on ne saurait que trop recommander à tout employeur ou responsable des ressources humaines de faire systématiquement appeler le salarié avant de procéder à l’ouverture d’un fichier ou d’un dossier suspect. Car c’est bien le mode de preuve illicite qui est ici sanctionné par le juge administratif ; il ne s’agit aucunement d’un blanc-seing pour la détention de fichiers pornographiques. Or, en la présence du salarié, peu importe que les données aient été identifiées ou non comme personnelles, peu importe que le contenu soit ou non « manifestement personnel » ou qu’il faille déterminer l’existence d’un « risque ou évènement particulier » : le fait est que ce type de fichier est manifestement, sauf en de rares exceptions, étranger à l’activité professionnelle du salarié et sa détention relève donc du droit disciplinaire. 

Auteur : Éditions Dalloz - Tous droits réservés.