Soc. 10 juin 2015, FS-P+B, n° 14-13.318

Soc. 10 juin 2015, FS-P+B , n° 13-25.554

L’article L. 1152-2 du code du travail dispose qu’« aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être […] licencié […] pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ». Mais la personne qui relate des faits de harcèlement dont elle pense être la victime est-elle protégée contre le licenciement lorsque les faits en question ne sont finalement pas qualifiés de harcèlement par le juge ?

La réponse a été donnée en 2009 par la chambre sociale : l’employeur qui fait le reproche à un salarié d’avoir relaté des agissements de harcèlement moral sans alléguer la mauvaise foi de ce dernier « emport[e] à lui seul la nullité de plein droit du licenciement ». La Cour de cassation a ensuite fait évoluer sa décision afin de couvrir le salarié qui « dénonce » des faits de harcèlement et ne se contente pas de les relater, estimant surement qu’on ne peut exiger d’un salarié victime de harcèlement qu’il garde une objectivité sans faille. Enfin, la Cour a clairement établi que la mauvaise foi du salarié qui relate des faits de harcèlement moral « ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis ». Et par deux arrêts d’espèce du 10 juin 2015, la Cour de cassation vient apporter quelques éclaircissements sur la façon d’apprécier cette mauvaise foi.

Dans la première affaire (pourvoi n° 13-25.554), il ne faisait aucun doute que le comportement du salarié était constitutif d’une faute grave. Cependant, l’employeur a eu la maladresse d’évoquer parmi d’autres raisons dans la lettre de licenciement que le salarié continuait « délibérément à rechercher la provocation à [son] égard que ce soit par [ses] propos où [ses] écrits, n’hésitant pas à [l]’accuser de harcèlement alors [qu’il lui] demand[ait] tout simplement de faire [son] travail correctement et efficacement ». Le moyen de l’employeur consistait dans un premier temps à dire que le fait que le salarié ne se soit plaint à nulle autre personne que celle qu’il prétend être l’auteur du harcèlement ne saurait être assimilé à un témoignage ou une relation ou une dénonciation. Ensuite, les juges du fond et la cour d’appel avaient relevé que la dénonciation par le salarié de faits de harcèlement moral consistait en « une réponse du salarié pour s’opposer de manière persistante à l’exécution correcte et efficace du travail qui lui était demandé ». L’employeur avait également mis en avant, s’agissant du harcèlement allégué par le salarié, la « duplicité » de ce dernier, ainsi que sa « mauvaise foi ». Or, la cour d’appel avait décidé que le licenciement était nul au motif que l’employeur n’alléguait pas la mauvaise foi du salarié.

La Cour de cassation, confirmant sa jurisprudence antérieure - particulièrement sévère à l’égard de l’employeur -, rejette le pourvoi de ce dernier au motif qu’« ayant constaté, hors toute dénaturation, d’une part, que dans la lettre de licenciement il était notamment reproché au salarié d’avoir accusé son employeur de harcèlement à son égard et, d’autre part, que celui-ci n’établissait pas que cette dénonciation avait été faite de mauvaise foi, la cour d’appel, qui n’avait pas à procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérantes, en a exactement déduit que ce grief emportait à lui seul la nullité du licenciement ».

La motivation est rigoureusement identique dans la seconde espèce (pourvoi n° 14-13.318). La cour d’appel avait estimé, « pour prononcer la résiliation du contrat d’apprentissage aux torts de l’apprentie, […] que les accusations très graves et totalement infondées de harcèlement moral voire sexuel portées à l’encontre de son employeur par l’apprentie […], notamment en invoquant des faits anodins survenus en dehors du lieu et du temps de travail […], constituent une faute grave faisant obstacle à la poursuite de l’exécution du contrat d’apprentissage justifiant sa résiliation aux torts de l’apprentie ». La Cour de cassation ne l’approuve pas et casse cette décision au motif que, sauf mauvaise foi, « laquelle ne peut résulter que de la connaissance de la fausseté des faits dénoncés », « la dénonciation d’un harcèlement moral ou sexuel ne [peut] être sanctionnée [et] ce motif ne peut être pris en considération dans l’appréciation des éventuelles fautes de l’apprentie de nature à justifier la résiliation judiciaire du contrat à ses torts ».

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