Soc. 30 juin 2016, FS-P+B+R+I, n° 15-10.557

Depuis la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, « aucune personne ne peut être […] sanctionnée, licenciée ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, […] pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions » (C. trav., art. L. 1132-3-3). Cette loi a donc permis d’offrir aux lanceurs d’alerte une protection contre le licenciement.

Les faits de l’affaire à l’origine de l’arrêt rapporté se sont produits avant l’entrée en vigueur de la loi du 6 décembre 2013, époque à laquelle les lanceurs d’alerte ne bénéficiaient donc d’aucune protection particulière. En l’espèce, un salarié, engagé en qualité de directeur administratif et financier par une association, avait dénoncé au procureur de la République les agissements d’un membre du conseil d’administration et du président de l’association. Licencié pour faute lourde, il a saisi la juridiction prud’homale pour obtenir la nullité de ce licenciement.

La cour d’appel a considéré le licenciement sans cause réelle et sérieuse mais a refusé de reconnaître la nullité, au motif que l’article L. 1132-3-3 du code du travail n’était pas applicable aux faits de l’espèce et qu’il n’existait donc aucun texte permettant d’obtenir cette nullité.

La chambre sociale confirme la solution s’agissant de l’absence de cause réelle et sérieuse, en rappelant que « le fait pour un salarié de porter à la connaissance du procureur de la République des faits concernant l’entreprise qui lui paraissent anormaux, qu’ils soient au non susceptibles de qualification pénale, ne constitue pas en soi une faute ». Elle casse toutefois l’arrêt sur la question de la nullité du licenciement. Elle estime en effet, au visa de l’article 10, § 1, de la de la Convention européenne des droits de l’homme, qu’« en raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté d’expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est frappé de nullité ».

Cette solution n’est guère étonnante. Dès 1988, la chambre sociale avait déjà pris le parti d’élargir le champ de la nullité du licenciement aux licenciements portant atteinte à un droit ou une liberté fondamentale. De plus, en 2013, la Cour a estimé qu’« en raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté fondamentale de témoigner, garantie d’une bonne justice, le licenciement prononcé en raison du contenu d’une attestation délivrée par un salarié au bénéfice d’un autre est atteint de nullité, sauf en cas de mauvaise foi de son auteur ». La solution du 30 juin 2016 conforte donc cette évolution en inscrivant par ailleurs sa jurisprudence dans la droite ligne de celle dégagée par la Cour européenne des droits de l’homme, pour qui les sanctions prises à l’encontre de salariés ayant critiqué le fonctionnement d’un service ou divulgué des conduites ou des actes illicites constatés sur leur lieu de travail constituent une violation à leur droit d’expression au sens de l’article 10-1 de la Convention. 

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