Cons. prud’h. Paris, 16 déc. 2015, n° F 14/14901

Le conseil de prud’hommes de Paris a rendu, le 16 décembre 2015, un jugement très médiatisé. C’est un paragraphe en particulier qui a retenu l’attention : « En se plaçant dans le contexte du milieu de la coiffure, le conseil considère que le terme de "PD" employé par la manager ne peut être retenu comme propos homophobe car il est reconnu que les salons de coiffure emploient régulièrement des personnes homosexuelles, notamment dans les salons de coiffure féminins, sans que cela ne pose de problèmes » (V. jugement p. 5).

En l’espèce, un coiffeur, embauché par contrat à durée indéterminée assorti d’une période d’essai de deux mois, a été absent une journée pour maladie et a reçu, par erreur, un SMS provenant de sa supérieure hiérarchique : « Je ne garde pas [M. X]. Je ne le sens pas ce mec. C’est un PD, ils font tous des coups de pute ». Le lendemain, soit près d’un mois après son embauche, le salarié se voit notifier la rupture de sa période d’essai. Ce dernier considère cette rupture comme étant discriminatoire car fondée sur son état de santé et son orientation sexuelle.

Le Défenseur des droits, intervenu à l’instance, a rappelé qu’aux termes de l’article L. 1132-1 du code du travail, « aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, (…) en raison de son orientation sexuelle [et/ou] de son état de santé ». L’aménagement de la preuve en matière de discrimination suppose que le salarié « présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination », à charge pour l’employeur de démontrer en réponse que « sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination » (C. trav., art. L.1134-1). Il a également pris soin de rappeler que les dispositions relatives au principe de non-discrimination sont applicables au cours de la période d’essai. Il en résulte que la rupture de la période d’essai fondée en tout ou partie sur un motif discriminatoire constitue un abus de droit, entraînant la nullité de la rupture (C. trav., art. L. 1132-4).

Les conseillers prud’homaux avaient donc en main tous les éléments juridiques pour statuer sur cette affaire. Avec le SMS reçu, le salarié apporte bien des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination. En qualifiant M. X de « PD » dans un SMS où elle parle de la rupture de la période d’essai, c’est la manager elle-même qui établit un lien de corrélation entre la rupture et l’homosexualité du salarié. En ajoutant qu’« ils font tous des coups de pute », elle utilise un préjugé homophobe pour motiver le renvoi du salarié. Pourtant, alors qu’aucun salarié victime de discrimination ne pourrait espérer trouver une preuve plus parlante, les conseillers prud’homaux rejettent le caractère discriminatoire de la rupture, tout en retenant la qualification d’injure pour l’utilisation du terme « PD » dans le SMS.

Les conseillers ne se fondent cependant pas sur la justification, très imparfaite, apportée par l’employeur, à savoir les attestations de sept salariés qui témoignent de l’incompétence professionnelle de M. X, pour rejeter l’existence de la discrimination. Ils se fondent sur un autre stéréotype homophobe particulièrement troublant : les homosexuels sont très souvent employés dans les salons de coiffure, donc les propos de la manager n’étaient pas homophobes. Autrement dit, « les salons de coiffure » embauchent des homosexuels donc il ne saurait y avoir de discrimination au sein d’un salon en particulier, de la part d’une manager en particulier…

Il est à noter que les conseillers prud’homaux ont par ailleurs balayé la demande portant sur la discrimination en raison de l’état de santé en estimant qu’il « n’est pas sérieux de soutenir qu’un employeur va rompre le contrat de travail d’un salarié parce qu’il a été absent un jour pour maladie ; ce fait ne peut pas être retenu comme élément caractérisant une discrimination ». Or, la rupture du contrat de M. X est intervenue seulement quarante-huit heures après son arrêt maladie et l’employeur ne démontre pas que sa décision était arrêtée avant la prise de ce congé. La concomitance des deux évènements pourrait donc laisser supposer l’existence d’une discrimination et cela aurait dû être suffisant puisque le salarié n’a pas à apporter la preuve de la discrimination.

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