Com. 3 févr. 2015, F-P+B, n° 13-24.895

Lorsque le créancier d’une filiale échoue à recouvrer sa créance, bénéficie-t-il d’une action en paiement contre la société mère ? De prime abord, la réponse est négative, compte tenu du principe d’indépendance de la personnalité morale. La société mère étant un tiers par rapport au lien – généralement contractuel – qui a pu se nouer entre la filiale et le tiers, l’effet relatif des conventions interdit une telle action, sauf si la mère s’est portée garant – que ce soit dans le cadre d’un cautionnement ou autre lettre d’intention – des engagements souscrits par sa filiale vis-à-vis de ce tiers. Cependant, même en présence d’une relation purement commerciale, le créancier impayé de la filiale n’est pas totalement démuni. Dans des cas exceptionnels, l’action en paiement contre la société mère peut ainsi être accueillie en se fondant sur la notion d’immixtion renforcée par la théorie de l’apparence. L’idée est alors que la société mère s’est rendue coupable d’une immixtion fautive dans la gestion de sa filiale, cette immixtion étant de nature à créer pour le tiers-créancier une apparence trompeuse propre à lui permettre de croire légitimement que la société mère était, tout comme la filiale, son cocontractant. Mais, bien souvent, l’action échoue pour des questions de preuve.

En l’occurrence, n’ayant pu obtenir de la société Copernet, avec laquelle elle était en relations commerciales depuis plusieurs années, le règlement de factures, la société Devicelock a assigné en paiement la société TAF, société holding du même groupe. Elle obtient gain de cause devant les juges du fond, la cour d’appel de Pau condamnant la société TAF à payer la somme de 38 637,47 € à la société Devicelock. Le pourvoi de la société TAF est rejeté : « Mais attendu que l’arrêt [d’appel] retient que, si la société TAF, qui détenait la majorité du capital de la société Copernet, avait une adresse électronique similaire, le même domicile et le même dirigeant que cette dernière, ne s’est pas immiscée dans la conclusion et l’exécution du contrat jusqu’à la mise en demeure délivrée par la société Devicelock, elle est intervenue en revanche au stade précontentieux, lorsque le créancier s’apprêtait à saisir la juridiction en paiement de la créance, à plusieurs reprises, pour discuter le montant de l’obligation, en proposant notamment un montant moindre tiré de remises consenties à l’occasion de commandes précédentes, et tenter d’obtenir un arrangement amiable, laissant ainsi croire à la société Devicelock, à un moment où la société Copernet avait encore des actifs, qu’elle se substituait à cette dernière dans l’exécution du contrat ; que de ces constatations et appréciations souveraines, faisant ressortir que l’immixtion de la société mère avait été de nature à créer une apparence propre à faire croire à la société Devicelock qu’elle se substituait à sa filiale, la cour d’appel a pu déduire que la société TAF devait répondre de la dette de sa filiale ». Autrement dit, les juges du fond ont suffisamment caractérisé les éléments de fait sur lesquels ils se sont fondés pour retenir une immixtion fautive.

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