Com. 17 nov. 2015, F-P+B, n° 14-18.673

Un client a ouvert le 7 janvier 2003, un compte titres associé à un compte de dépôt auprès d’une banque. Il a également souscrit à la convention de service en ligne avec option titres et bourse proposée par la banque. Après avoir été résiliée par la banque une première fois le 16 octobre 2003, en raison du solde débiteur apparu sur le compte de dépôt, cette convention de compte titres a été rétablie, par avenant du 22 janvier 2004, et associée à un nouveau compte de dépôt à vue ouvert. Elle a ensuite été définitivement résiliée, le 27 juillet 2004, la connexion internet du client étant supprimée le même jour. Ce dernier a alors cherché à mettre en œuvre la responsabilité de la banque. Sa demande d’indemnisation – au titre de la perte de chance d’éviter les risques encourus – est toutefois partiellement rejetée.

La Cour de cassation relève, en effet, que le client est un opérateur averti, ce qui dispensait la banque de le mettre en garde quant à son projet d’investissement sur des opérations à caractère spéculatif. Si la jurisprudence considère que le client doit recevoir une information spécifique sur les risques encourus avant même la signature des contrats de placement, en l’espèce, l’intéressé était non averti au moment de l’ouverture d’un compte titres et l’était devenu par la suite, compte tenu du nombre d’opérations qu’il avait réalisées et de leur caractère de plus en plus spéculatif. D’où le partage de responsabilité. La qualité d’opérateur averti n’est donc pas figée mais, au contraire, évolutive.

Dans le cadre du second moyen de l’arrêt, le client a, en revanche, plus de chances et obtient la censure de l’arrêt d’appel. La question ici soumise à l’appréciation de la Cour de cassation portait sur la nature du préjudice subi par le client. La Haute juridiction affirme, au double visa du droit commun (la responsabilité contractuelle, qui a pour siège l’art. 1147 c. civ.) et du droit financier (les art. L. 533-4 c. mon. fin. et 321-62 du règlement général de l’Autorité des marchés financiers), que « le prestataire habilité qui fournit les services de réception et transmission d’ordres via internet doit, lorsqu’il tient lui-même le compte d’espèces et d’instruments financiers de son client, disposer d’un système automatisé de vérification du compte qui, en cas d’insuffisance des provisions et des couvertures, assure le blocage de l’entrée de l’ordre ».

Autrement dit, une obligation de blocage de l’entrée des ordres, constitutive d’une obligation de résultat, pèse sur le prestataire habilité. Or, les juges du fond, pour condamner la banque à payer une certaine somme en réparation du préjudice dû au manquement par celle-ci à son obligation de bloquer les ordres passés à découvert, avaient retenu que « ce préjudice consiste en la perte de la chance d’obtenir le blocage de ces ordres ». C’est cette solution que condamne la Cour de cassation qui considère que si le prestataire dispose d’un système de vérification des comptes bien au point, il devrait, sans qu’il n’y ait un quelconque aléa, bloquer les ordres de bourse passés à découvert par le client imprudent. Or, la notion de perte de chance est intimement liée à celle d’aléa : en l’absence totale d’aléa -ce qui aurait dû être le cas ici –, il n’y pas perte de chance. Comme le relève la Cour de cassation, « si le système automatisé avait fonctionné, l’entrée des ordres aurait été bloquée, de sorte qu’en l’absence d’aléa, le préjudice ne pouvait consister en la seule perte de la chance d’obtenir ce blocage ». 

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