Com. 26 nov. 2013, FS-P+B, n° 12-21.361

La Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF) a infligé à la société Wendel et au président du directoire de cette société à l’époque des faits une sanction pécuniaire de 1,5 million d’euros chacun pour défaut d’information du marché sur la préparation de la montée de Wendel au capital de Saint-Gobain, société cotée. La technique utilisée, quoique pas totalement novatrice – elle avait déjà été expérimentée par le groupe LVMH pour tenter de prendre le contrôle d’Hermès – était relativement originale : des dérivés sur actions (ou contrats de total return swap [TRS] conclus avec plusieurs établissements de crédit), habituellement utilisés pour se couvrir contre un risque de dépréciation ou pour spéculer, avaient été émis afin de constituer une participation significative dans le capital de la cible. La sanction a ensuite été confirmée par la cour d’appel de Paris.

Pour les juges d’appel, en substance, il importe, pour les besoins de l’information du public, laquelle doit être « exacte, précise et sincère » (RG AMF, art. 223-1), que l’investisseur soit à même de porter à la connaissance du marché « les principales caractéristiques » de l’opération financière qu’il prépare (RG AMF, art. 223-6), ce qui suppose que cette opération n’en soit pas à un simple projet mais qu’elle soit « suffisamment avancée ». Ils ont ajouté que l’article 223-6 du règlement général de l’AMF n’exige pas que la préparation d’une opération financière ait une issue certaine et soit exempte d’aléas, ni que l’opération envisagée soit exclusive de solutions alternatives.

On aurait pu s’attendre à un rejet du pourvoi dirigé contre l’arrêt d’appel. Il n’en est rien. Devant la Cour de cassation, tout le débat a tourné autour du sens à donner à la notion d’information « précise » au sens de l’article 223-1. Évidemment, l’ancien président de la société Wendel a défendu une conception restrictive de celle-ci. Il considère, dans son pourvoi, que « l’information n’est précise au sens de ce texte que si elle permet à celui qui la détient d’anticiper dans quel sens le cours du titre de l’émetteur concerné variera lorsque cette information sera rendue publique ». Pour l’AMF, en revanche, une telle conception « va au-delà de la lettre du texte des directives 2003/6/CE et 2003/124/CE [sur les abus de marché] qui ne fait pas mention du sens de l’effet possible de l’information sur le cours des instruments financiers concernés ». La Cour de cassation préfère ne pas trancher elle-même le débat. Elle sursoit à statuer et saisit la Cour de justice de l’Union européenne, auxquels elle pose la question suivante : « Les articles 1er, point 1, de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché) et 1er, § 1, de la directive 2003/124/CE de la Commission, du 22 décembre 2003, portant modalités d’application de la directive 2003/6 en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilégiées et la définition des manipulations de marché doivent-ils être interprétés en ce sens que seules peuvent constituer des informations à caractère précis au sens de ces dispositions celles dont il est possible de déduire, avec un degré de probabilité suffisant, que leur influence potentielle sur les cours des instruments financiers concernés s’exercera dans un sens déterminé, une fois qu’elles seront rendues publiques ? ». Voilà une belle question de principe !

Auteur : Éditions Dalloz - Tous droits réservés.