Civ. 2e, 7 juill. 2016, FS-P+B, n° 15-16.110

L’article L. 8221-6 du code du travail pose une présomption de non-salariat pour une liste de personnes exerçant une activité professionnelle indépendante. Initialement introduite par la loi dite « Madelin » (L. n° 94-126 du 11 févr. 1994), celle-ci a été reprise lors du vote de la loi pour l’initiative économique (L. n° 2003-721 du 1er août 2003). En application de cette disposition, le législateur présume l’absence de contrat de travail dans un certain nombre de cas pour les activités déclarées par l’indépendant lors de son immatriculation ou inscription administrative, et ce dans ses relations avec un donneur d’ordre. L’article L. 8221-6-1 du code du travail se révèle plus général, puisqu’il pose une présomption de travailleur indépendant pour celui dont les conditions de travail sont définies exclusivement par lui-même ou par le contrat les définissant avec son donneur d’ordre.

La liste de l’article L. 8221-6 précité vise d’abord les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des URSSAF pour le recouvrement des cotisations d’allocations familiales. Viennent ensuite les personnes physiques inscrites au registre des entreprises de transport routier de personnes, qui exercent une activité de transport scolaire prévu par l’article L. 213-11 du code de l’éducation ou de transport à la demande conformément à l’article 29 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs. La troisième catégorie se réfère aux dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés. Sont enfin visées les personnes physiques relevant de l’article L. 123-1-1 du code de commerce ou du V de l’article 19 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l’artisanat (auto-entrepreneurs ayant une activité commerciale notamment). Cette dernière catégorie a été supprimée à la suite de la disparition de la dispense d’immatriculation, les intéressés étant alors visés par les catégories précédentes.

La présomption de non-salariat n’est pas irréfragable. L’existence d’un contrat de travail peut, selon l’article L. 8221-6 du code du travail, être établie lorsque les personnes présumées non salariées fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci. Un tel renversement de la présomption peut conduire à l’application du droit du travail au prestataire mais aussi à appliquer aux sommes qui lui sont versées les cotisations sociales.

Il convient donc de se référer aux modalités de détermination de l’existence d’un contrat de travail, et notamment la condition du lien de subordination. Depuis la célèbre décision Société Générale de 1996, les positions en droit du travail et en droit de la sécurité sociale ont été unifiées à ce propos. La jurisprudence caractérise ce lien par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail.

C’est dans la pratique des relations entre donneur d’ordre et prestataire qu’il convient de rechercher la réalité du lien de subordination, peu important la qualification qu’ils ont donnée à leurs relations, par la technique du faisceau d’indices.

Dans l’espèce rapportée, c’est à la suite d’un contrôle opéré par l’URSSAF que des prestataires a priori indépendants vont être considérés par le juge comme placés sous la subordination juridique permanente de leur donneur d’ordre. L’entreprise, ayant pour activité la formation, avait fait appel à des formateurs inscrits comme auto-entrepreneurs. À la suite du redressement opéré par l’URSSAF, le montant des sommes qui leur avaient été versées sont réintégrées dans l’assiette des cotisations de l’employeur, ce que ce dernier conteste. Selon lui, la présomption de non-salariat s’oppose à cette réintégration. C’était sans compter sur le faisceau d’indices relevé par les juges du fond caractérisant ici un lien de subordination juridique permanente des formateurs à l’égard de la société de formation. Dans ces conditions, la présomption simple ne pouvait qu’être renversée.

En effet, les juges du second degré ont relevé :

  • l’appartenance de la moitié des formateurs auto-entrepreneurs à l’entreprise en tant que salariés avant leur inscription sous ce nouveau régime juridique ;
  • l’existence, entre l’entreprise et les auto-entrepreneurs, d’un contrat de prestations de services à durée indéterminée faisant de ces derniers des formateurs permanents ;
  • l’activité exercée au profit et dans les locaux de l’entreprise, pour des élèves demeurant sa clientèle exclusive ;
  • l’absence de liberté des formateurs dans la préparation de leurs cours ;
  • l’existence d’une clause de non-concurrence d’un an après résiliation, limitant l’activité libérale des formateurs ;
  • le mandatement de l’entreprise pour les formalités administratives liées au statut d’auto-entrepreneur des formateurs, y compris la facturation et les déclarations ainsi que les paiements des charges sociales et fiscales.

Selon les juges d’appel, l’inspecteur de recouvrement a pu valablement conclure qu’aucune modification des conditions d’exercice n’était intervenue dans l’activité des formateurs initialement salariés puis recrutés en tant qu’auto-entrepreneurs.

Au vu de cette accumulation d’indices du lien de subordination, il était logique de conclure à son existence. La Cour régulatrice valide donc la position de la cour d’appel conduisant à la réintégration des sommes versées aux auto-entrepreneurs dans l’assiette des cotisations de l’entreprise.

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