Soc. 15 mai 2013, FS-P+B, n° 11-28.749

La question de la qualification du temps de trajet est l’un des domaines dont le juge s’est saisi avant le législateur et qui, censuré par l’intervention (tardive) de ce dernier, refuse de lâcher prise et entre en résistance.

L’arrêt du 15 mai 2013 laisse entrevoir que la Cour n’a finalement pas baisser les armes sur cette question et précise le régime probatoire applicable au déplacement effectué par le salarié pour se rendre de son domicile à un lieu de travail occasionnel, « inhabituel ».

À l’aide d’un visa associant les articles L. 3121-4 et L. 3171-4 du code du travail, la Cour pose dans un attendu de principe que « le temps de trajet pour se rendre du domicile au lieu de travail, lorsqu’il excède le temps nécessaire à un travailleur pour se rendre de son domicile à son lieu de travail habituel, doit être considéré comme du temps de travail effectif et, à compter de l’entrée en vigueur de la loi du 18 janvier 2005 faire l’objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière ». Elle ajoute : « que la charge de la preuve de ce temps de trajet inhabituel n’incombe spécialement au salarié que pour la demande de contrepartie ».

L’article L. 3121-4 du code du travail prévoit que « le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif. Toutefois, s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l’objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière ». La Cour va alors déduire de l’association de cet article et de celui antérieur à la loi de 2005 (art. L. 212-4), qui ne prévoyait pas l’existence d’une contrepartie pour le trajet d’une durée supérieure au temps normal de trajet domicile/lieu de travail habituel, que ce temps de trajet est bien un temps de travail effectif (comme elle le disait dans sa jurisprudence antérieure). Cette interprétation de l’article L. 3121-4 semblecontra legem. En effet, pour la Cour, l’usage du terme « toutefois » signifie que l’exclusion de la qualification de temps de travail effectif est écartée si le temps de trajet est inhabituel. Or, le fait que le législateur ait pris la peine de prévoir une contrepartie tend à prouver qu’il ne s’agit pas d’un temps de travail effectif ; si c’était le cas le salarié aurait droit à son salaire. Le fait même de prévoir une contrepartie indique donc que, pour le législateur, il ne s’agit pas d’un temps de travail effectif, mais d’un temps « gris » (comme le temps d’attente dans le système des astreintes). Mais, la Cour semble au contraire estimer qu’à partir de 2005, l’exigence de contrepartie s’ajoute – et non pas se substitue – à la qualification de temps de travail effectif.

La Cour va ensuite préciser « que la charge de la preuve de ce temps de trajet inhabituel n’incombe spécialement au salarié que pour la demande de contrepartie ». Autrement dit, dès lors que le salarié demande un rappel de salaire pour les heures passées en déplacement, qui sont donc des heures de travail effectif, et donc potentiellement des heures supplémentaires, la charge de la preuve doit être la même que pour les heures de travail effectif. D’où la référence dans le visa à l’article L. 3171-4 du code du travail qui partage la preuve entre le salarié et l’employeur.

On notera que l’arrêt reprend des termes identiques à la jurisprudence constante relative à l’application de l’article L. 3171-4 qui fixe que « la preuve des heures de travail effectuées n’incombe spécialement à aucune des parties ». De laquelle découle que « le juge ne peut donc, pour rejeter une demande en paiement d’heures supplémentaires, se fonder exclusivement sur l’insuffisance des preuves apportées par le salarié ; il doit examiner les éléments que l’employeur est tenu de lui fournir, de nature à justifier les horaires effectivement réalisés ». En l’espèce donc, la preuve n’incombera spécialement au salarié que s’il demande la contrepartie financière prévu par l’article L. 3121-4, en dehors de cela, la jurisprudence constante en matière de preuve des heures de travail s’applique.

C’est à cette application que la Cour s’affère ensuite en réutilisant, là aussi, des termes issue de cette jurisprudence : « le salarié produisait un décompte de ses déplacements auquel la société pouvait répondre ». Elle replace donc le débat contradictoire sous l’auspice de l’article L. 3171-4 qui veut que le salarié fournisse des éléments à l’appui de sa demande. À ce titre, « constitue un élément de fait suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés un décompte établi par le salarié au crayon, calculé mois par mois, sans autre explication ni indication complémentaire, auquel l’employeur pouvait répondre ». 

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