Soc. 17 oct. 2012, FS-P+B, n° 10-17.370

Les dispositions de l’article L. 3171-4 du code du travail relatives à la répartition de la charge de la preuve des heures de travail effectuées entre l’employeur et le salarié ne sont pas applicables à la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l’Union européenne, qui incombe à l’employeur.

Cet arrêt suscite le plus vif intérêt en ce qu’il vient restreindre le champ d’application de l’article L. 3171-4 du code du travail. Ce dernier prévoit qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié (C. trav., art. L. 3171-4, al. 1er) et qu’en considérant ces éléments et ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles (C. trav., art. L. 3171-4, al. 2). Ainsi, la charge de la preuve n’incombe spécialement à aucune des parties. Ce régime de preuve diffère de celui prévu par l’article 1315 du code civil selon lequel celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. En effet, lorsque naît un litige relatif au temps de travail réellement effectué, le salarié doit seulement fournir au juge des éléments de nature à étayer sa demande, ce qui permettra à l’employeur de répondre en apportant ses propres éléments. Si la Cour indique que les éléments présentés par le salarié doivent être suffisamment précis, force est de constater qu’elle se montre libérale puisqu’un décompte manuscrit calculé mois par mois sans autre explication ni indication complémentaire est de nature à satisfaire cette exigence. Il a, d’ailleurs, justement été avancé « qu’il importe peu, au fond, que les éléments apportés par le salarié soient suffisants ou non. Il importe beaucoup plus, en revanche, que l’employeur ait été en mesure d’y répondre ».

C’est ce régime spécifique que le présent arrêt vient écarter dès lors qu’est en jeu le respect des « seuils et plafonds prévus par le droit de l’Union européenne ». Dorénavant, la charge de la preuve repose uniquement sur l’employeur. Inutile de préciser que la solution est très favorable au salarié. Elle s’inscrit dans un mouvement initié par un arrêt rendu en juin dernier et qui concernait la prise des congés annuels par le salarié. La chambre sociale précisait alors qu’eu égard à la finalité qu’assigne aux congés payés annuels la directive n° 2003/88/CE concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, il appartient à l’employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu’il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement. Il faut déduire de l’utilisation de l’expression « seuils et plafonds prévus par le droit de l’Union européenne » que ce sont les dispositions de la directive n° 2003/88/CE qui sont visées.

Outre l’hypothèse des congés annuels précitée, l’employeur devra par conséquent prouver en cas de litige qu’il a respecté ses obligations en matière de repos journalier de onze heures consécutives au cours de chaque période de vingt-quatre heures (art. 3 de la directive ; C. trav., art. L. 3131-1), de temps de pause fixé en droit interne à vingt minutes lorsque le temps de travail journalier est supérieur à six heures (art. 4 de la directive ; C. trav., art. L. 3121-33), de période minimale de repos sans interruption de vingt-quatre heures auxquelles s’ajoutent les onze heures de repos journalier (art. 5 de la directive ; C. trav., art. L. 3132-2), de durée maximale hebdomadaire de travail (art. 6 de la directive ; C. trav., art. L. 3121-35) ou encore de durée du travail de nuit (art. 8 de la directive ; C. trav., art. L. 3122-34). La solution doit être pleinement approuvée. Rappelons qu’en vertu de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et que la Cour décide que l’employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat. Or, le code du travail assure la transposition de la directive dont l’article premier indique qu’elle « fixe des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d’aménagement du temps de travail ». L’employeur se doit immanquablement de les respecter. 

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