Soc. 14 mai 2014, FS-P+B, n° 12-35.033

La validité d’une convention individuelle de forfait annuel en jours repose sur des conditions strictes. D’abord, un accord collectif d’entreprise ou d’établissement, ou, à défaut, une convention ou un accord de branche, doit au préalable autoriser le recours à ce type d’organisation (C. trav., art. L. 3121-39). Le salarié doit par ailleurs avoir donné son accord, ce qui suppose que la convention ait été établie par écrit. De surcroît, l’accord collectif doit déterminer les catégories de salariés concernés, les caractéristiques principales de ces conventions de forfait et le nombre de jours travaillés qui ne peut en principe dépasser 218 jours sur l’année (C. trav., art. L. 3121-44). Plus encore, depuis le très commenté arrêt du 29 juin 2011, l’accord collectif doit contenir des stipulations assurant « le respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires » et plus largement, « le respect du droit à la santé et au repos ». Les craintes ayant suivi cette décision étaient fondées : un certain nombre de conventions collectives et accords collectifs ont dû être revus ou restent encore à réviser pour se conformer à ces exigences renforcées.

Récemment, à l’aune des impératifs de protection de la santé, de la sécurité et du droit au repos contenus dans l’article 2, § 1, de la Charte sociale européenne, l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l’article 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), l’article L. 3121-45 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, des articles 17, §§ 1 et 19 de la directive n° 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la Cour de cassation a d’ailleurs eu l’occasion de préciser que toute convention de forfait en jours doit fixer exactement le nombre de jours travaillés. Elle a également énoncé que l’entretien annuel sur la charge de travail doit bénéficier à tous les salariés soumis au dispositif, y compris ceux qui ont signé leur convention avant le 22 août 2008.

Dans l’arrêt ici rapporté, c’est la convention collective nationale des cabinets d’experts-comptables (art. 8.1.2.5) qui était en jeu. Une salariée en forfait jours avait démissionné tout en réclamant, devant la juridiction prud’homale, le paiement de diverses sommes correspondant notamment à des heures supplémentaires. Les juges du fond l’avaient déboutée de sa demande, au motif que la convention de forfait jours prévoyant 217 jours de travail annuel était conforme aux « dispositions conventionnelles de la convention collective qui a prévu ce dispositif en raison de la nature de l’emploi des cadres travaillant dans la branche des experts-comptables et commissaires aux comptes en contact direct avec les clients et rendant, donc, impossible la prédétermination du temps qui sera passé pour le travail demandé ».

Cependant, la Cour de cassation ne retient pas cette interprétation. Elle relève, au contraire, que les dispositions de cette convention se bornent à prévoir, en premier lieu, que la charge de travail confiée ne peut obliger le cadre à excéder une limite de durée quotidienne de travail effectif fixée à dix heures et une limite de durée hebdomadaire de travail effectif fixée à quarante-huit heures et que le dépassement doit être exceptionnel et justifié par le cadre ; en deuxième lieu, laissent à l’employeur le soin de prendre les mesures pour assurer le respect des repos quotidiens et hebdomadaires ; et, en troisième lieu, que le cadre disposant d’une grande liberté dans la conduite ou l’organisation des missions correspondant à sa fonction et dans la détermination du moment de son travail, le cadre et l’employeur examinent ensemble, afin d’y remédier, les situations dans lesquelles ces dispositions prises par l’employeur pour assurer le respect des repos journaliers et hebdomadaires n’ont pu être respectées. Or, selon la Cour, de telles dispositions ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables, ni à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail. Dès lors, au regard de multiples dispositions européennes (l’article 151 du TFUE se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l’article 17 de la directive n° 1993/104 CE du Conseil du 23 novembre 1993, les articles 17 et 19 de la directive n°2003/88 CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne), la convention collective des experts-comptables n’est pas de nature à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés soumis à des conventions de forfait.

Par conséquent, toutes les conventions individuelles de forfait conclues sur le fondement de la convention collective en question sont nulles, et ce tant que cette dernière ne fera pas l’objet d’une modification par les acteurs sociaux. Le risque pour ces sociétés d’expertise-comptable est d’autant plus important que les salariés seront fondés à intenter des actions en paiement des heures supplémentaires. Cette décision devrait donc inciter les employeurs à reprendre les négociations avec les syndicats de salariés… Précisons néanmoins que, dans l’attente d’une nouvelle négociation au niveau de la branche, ces cabinets d’expertise-comptable auront toujours la faculté de négocier un accord collectif au niveau de l’entreprise sur les modalités d’aménagement de ce temps de travail. 

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